Avec Dieu sur les routes de l’exil

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Agé de 28 ans, Bosco est paroissien de Sainte Marguerite. Il est arrivé à Marseille en 2018. Il avait quitté son pays en proie à la guerre, sept ans plus tôt. Sept années passées sur les routes de la mort dans le désert libyen et la mer Méditerranée, son chapelet caché dans la poche.

C’est à la terrasse de la Samaritaine, sur le Vieux-Port, que rendez-vous est pris avec Bosco. Peut-être pas un hasard. Des Samaritaines et des Samaritains, il en aura croisés sur sa route de Jéricho, véritable chemin de croix où, comme l’homme de la parabole, il a été laissé pour mort, frappé à mort par des brigands, à de nombreuses reprises. « J’ai grandi en Côte d’Ivoire, se rappelle-t-il, mais nous avons été déplacés au sud à cause de la guerre. J’ai dû arrêter l’école et je suis allé à Abidjan apprendre la couture dans l’atelier de mon grand-père. » C’est à Abidjan qu’il commence à fréquenter l’église : « On vivait des choses dures, j’avais besoin de confier ma vie à quelqu’un. J’ai entendu parler de Jésus, de Marie, et j’ai découvert l’amour de Dieu. » Mais avec la reprise de la guerre, après les élections de 2010, Bosco se retrouve seul avec son grand frère. A ce moment-là de l’entretien, impossible pour lui d’en dire plus sur sa famille, disparue. Trop de tristesse, d’émotion, de mauvais souvenirs. Âgé de 13 ans, il suit son aîné sans trop comprendre ce qu’il se passe. Seul objectif : fuir, le plus loin possible, loin de la guerre, loin des massacres, loin de la mort.

Des pick-ups en pick-ups, les voilà au Burkina, au Niger puis en Libye. Le début de l’enfer. Là encore, Bosco marque un long silence. « Ils ont tué mon grand frère. J’étais seul, sans famille, loin de chez moi, sans argent ni téléphone pour prévenir quelqu’un, perdu aux portes du désert. » Un Bukinabé qui vit là le recueille et le cache un temps, au fond de sa boutique. « Mais c’était dangereux pour lui. S’ils avaient su qu’il hébergeait un fugitif, ils l’auraient tué aussi. Au bout d’un temps, il m’a emmené à Tripoli et m’a confié à d’autres hommes. Ils m’ont conduit dans une maison, pire qu’une prison. » Bosco y passe des journées entières à attendre. Parfois, il est emmené sur des chantiers pour travailler, sans être payé. Comme un esclave, il est frappé à coup de matraque. Les femmes du groupe sont violées devant les yeux des hommes. Si l’un d’eux bouge pour leur porter secours, il est aussitôt fauché par les tirs de kalachnikovs, brandies par des enfants-soldats. « Si tu ne l’as pas vu de tes yeux, tu ne peux pas croire que cela arrive vraiment. Ces gens sont fous, drogués. Pour eux, nous ne sommes pas des humains. » Les migrants qui tentent de fuir se font aussi tuer ou abandonner dans le désert. « J’ai vu les cadavres là-bas, confie-t-il. Ils laissent les gens sans nourriture, sans eau. Parfois sans chaussure. Mais le sable est si brûlant ! Tu n’arrives même pas à poser les pieds ! » La nuit, les douleurs du corps et les images qui hantent désormais sa vie l’empêchent de trouver le sommeil ; alors, Bosco sort son chapelet : « J’avais l’impression de ne plus être tout à fait vivant, j’étais déjà à moitié mort. Je pensais que j’allais enfin partir pour le Ciel et je récitais de « Je vous salue Marie » en sortant mon chapelet de la poche. La journée, je ne le prenais jamais. S’ils avaient vu que j’étais chrétien, ils m’auraient tué aussitôt. »

 De Libye à Marseille

 Enfin, une nuit, on vient les chercher. « On va vous faire passer en Europe par la mer. Un grand bateau va vous récupérer. » Bosco se retrouve avec des dizaines d’autres entassés dans un zodiac. Pas de bateau à l’horizon et le zodiac commence à sombrer. « Une nouvelle fois, j’ai pensé que j’étais aux portes de la mort, tout semblait perdu. » In extremis, ils sont repêchés par un navire allemand, alors qu’ils ont déjà de l’eau jusqu’aux genoux. Ils débarquent en Italie. Malgré le calme du petit village en bord de mer dans lequel on l’héberge, la peur ne le lâche pas. « J’avais l’impression de voir de Libyens partout. Je voulais encore fuir, toujours plus loin. » Bosco entend parler de Marseille et décide de s’y rendre. Pour rejoindre la France, il passe par la montagne. En ce mois de décembre, le froid de l’hiver transperce sa peau d’Africain. « Des gens nous avaient donné des habits. On les a tous enfilés sur nous pour multiplier les épaisseurs, mais cela ne suffisait pas. Nous nous arrêtions dans des refuges pour nous réchauffer un peu puis nous repartions aussitôt, sans dormir. »

Quatre jours plus tard, Bosco est à Nice, d’où il rejoint la cité phocéenne. A la gare Saint Charles, le voyant transi, quelqu’un appelle le 115 et Bosco est emmené au centre d’accueil pour demandeurs d’asile, chemin de Madrague-Ville. Il y reste un mois, avant d’être remis dehors, juste le temps de reprendre des forces, physiques, mais aussi spirituelles : « Je voulais aller à la messe le dimanche. Quelqu’un m’a indiqué les sœurs de Mère Térésa, à Saint-Mauront. J’y suis allé et, en plus des repas que je prenais chez elles, elles m’ont invité à venir prier avec elles. Voyant que je ne communiais pas, l’une d’elle s’est étonnée et je lui ai expliqué que je n’étais pas baptisé. Elle m’a mis en lien avec le groupe de catéchisme de la paroisse du Bon Pasteur et, en 2021, j’ai reçu le baptême et la confirmation et j’ai fait ma première communion. » En septembre 2023, Bosco fera partie de la petite délégation de migrants qui accueillera le pape François à Notre-Dame-de-la-Garde.

Entre temps, il aura été de petits boulots en petits boulots, de squats en logements plus ou moins durables, jusqu’à arriver au foyer… Don Bosco – évidemment –, sur la paroisse de Sainte Marguerite. D’autres bons Samaritains l’auront aussi accompagné sur le plan administratif, notamment pour sa demande d’asile, refusée la première fois. Mais Bosco n’aura pas abandonné : il est retourné à l’école – en CAP au lycée de La Calade – puis en bac pro, réalisé en alternance dans un atelier de couture aixois. Aujourd’hui, les études sont terminées et Bosco vient de signer son premier contrat de travail. Il a un logement stable et participe aux activités de la paroisse.

« Un seul nom pour tous les poissons »

 En relisant son parcours, Bosco est dans l’action de grâces. Ne s’est-il jamais demandé où était passé Dieu dans cet enfer ou pourquoi l’avait-il abandonné ? « Au contraire, il a toujours été là, témoigne-t-il. Tant sont morts dans le désert, abandonnés, fusillés, violés, noyés. Et moi, je suis là. J’ai été sauvé à chaque fois. Il a sûrement un plan pour moi. En tous cas, je le remercie de tout ce que je vis aujourd’hui. Quand on a connu l’horreur absolue, comment ne pas être dans la joie de tout ce qui m’arrive ? » Désormais, Bosco lui-même se rend à la rencontre des migrants dans la rue, dans le cadre des maraudes du Secours catholique où il s’est engagé. L’occasion d’échanger avec eux et de leur donner des conseils, quand l’alcool ou la drogue n’empêchent pas la discussion. « Je comprends que les gens aient peur des migrants. Chez nous, on dit « Il y a un seul nom pour tous les poissons ». Vous, vous dites « On met tout le monde dans le même panier ». Mais c’est se tromper : derrière le nom de « migrants », tous les poissons ne sont pas les mêmes. Et même ceux qui posent problème, ce n’est pas parce que ce sont de mauvaises personnes, mais parce qu’ils ont été fracassés par ce que nous vivons sur la route de la migration. Ils sont traumatisés ! » Alors, que faire ? « Les aider, autant qu’on peut. Et même si la personne que tu aides te fait du mal, Dieu, lui, voit ce que tu fais pour lui et il ne l’oubliera pas. Prends soin d’eux et Dieu prendra soin de toi. »

Amaury Guillem

Crédit photo Diocèse de Marseille

A retrouver dans le numéro d’octobre 2025 d’ Eglise à Marseille

 

Publié le 06 octobre 2025

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