Dixième anniversaire de la mort d’Étienne Renaud

etienne renaud

Solennité de la Sainte Trinité

Notre-Dame-Limite, dimanche 4 juin 2023

 

 

Aujourd’hui, avec toute l’Église, nous célébrons la solennité de la Sainte Trinité. Certes, nous confessons, avec les mots du Credo de l’Église, que le Dieu unique, Père, Fils et Esprit Saint, est un Dieu trinitaire. Mais il faut bien avouer que si l’on nous demande d’expliquer ce que cela veut dire, alors nous sommes quelque peu dans l’embarras ! C’est que la question : « qu’est-ce que la Trinité ? », est un peu comme la question : « qu’est-ce que le temps ? », ainsi que le suggérait saint Augustin : « si on ne me demande pas de l’expliquer, je crois que je sais ce que c’est ; mais si on me le demande, alors je ne sais plus quoi dire ! » Et pour un Marseillais, ne plus savoir quoi dire est redoutable ! Pourtant, si l’Église des premiers siècles a cru nécessaire, pour exprimer qui est Dieu, d’utiliser le mot « Trinité », un mot qui pourtant ne figure pas dans la Bible, ce n’était certainement pas pour le plaisir de réfléchir abstraitement sur la divinité de Dieu, mais plutôt pour exprimer une expérience née de la foi en Jésus Christ. Quelle est cette expérience ? Je crois que c’est surtout l’expérience d’une rencontre.

Dans le livre de l’Exode, nous avons entendu tout à l’heure le récit d’une rencontre dont Dieu a l’initiative. Moïse avait déjà gravi la montagne du Sinaï, où il avait recueilli la Loi de Dieu sur des Tables de pierre. Mais il les avait brisées devant l’inconduite du peuple qui pendant ce temps-là s’était fait un veau d’or (Ex 32, 19). Alors, Dieu avait donné l’ordre à Moïse de préparer deux nouvelles tables et de monter à sa rencontre. Et pendant que Moïse montait, le Seigneur descendait pour venir à sa rencontre (34, 5). Il passe devant lui et proclame lui-même son propre nom : « Le Seigneur, le Seigneur, Dieu tendre et miséricordieux, lent à la colère, plein d’amour et de vérité » (34, 6). Et Moïse lui dit : « S’il est vrai, mon Seigneur, que j’ai trouvé grâce à tes yeux, daigne marcher au milieu de nous » (34, 9).

Qu’apprenons-nous de Dieu, à travers ces quelques lignes ? D’abord, nous voyons bien qu’il n’est pas une invention des hommes, qu’ils se seraient eux-mêmes fabriquée, comme le veau d’or, pour répondre à leurs besoins ou pour apaiser leurs angoisses. Ce n’est pas une idole faite de mains humaines. C’est un Dieu autre, personnel, imprévisible, un Dieu qui vient à nous de lui-même pour nous rencontrer. Ensuite, nous pouvons remarquer que son nom est inattendu : tendresse et miséricorde, amour et vérité ! Si l’on avait dû inventer Dieu, nous aurions certainement choisi autre chose pour le qualifier. On l’aurait ajusté à nos besoins de force, de pouvoir, de sécurité, ou de domination. Mais Dieu est autre. C’est nous qui sommes faits pour Lui, et non pas Lui pour nous. Et parce que nous sommes faits pour Lui, notre cœur est sans repos tant qu’il ne se laisse pas rencontrer par Lui, toucher par Lui, par sa tendresse et sa miséricorde, par son amour et sa vérité. Enfin, nous apprenons que ce Dieu, dont la toute-puissance régit l’univers, se laisse interpeller par Moïse, qui ose lui demander, en faveur de son peuple dont il reconnaît qu’il a la nuque raide : « daigne marcher au milieu de nous » !

Et en écoutant le beau passage d’Évangile qui nous a été lu tout à l’heure, nous avons mieux entrevu que ce Dieu qui s’engage, par des rencontres, dans une relation d’alliance, est en Lui-même, dans l’unicité de son être, une relation d’amour, et qu’Il est animé du désir d’accueillir en cet amour tous ceux qui voudront bien accepter de se laisser rencontrer par Lui, attirer par Lui. Voilà ce dont la foi chrétienne a fait l’expérience et ce qu’elle tente d’exprimer avec le mot « Trinité ». Dieu est amour et c’est en venant Lui-même à la rencontre des hommes que l’amour nous a sauvés. « Dieu a tant aimé le monde qu’il a donné son Fils unique, afin que quiconque croit en lui ne se perde pas mais obtienne la vie éternelle. Car Dieu a envoyé son Fils dans le monde, non pas pour juger le monde, mais pour que, par lui, le monde soit sauvé » (3, 16-17).

Tu veux comprendre la Trinité ? Efforce-toi d’entrer dans ce projet de Dieu pour le monde. Car le Père a exaucé le vœu de Moïse, plus pleinement que celui-ci ne pouvait l’imaginer : en son Fils, il est venu lui-même marcher avec nous, des bords du Jourdain jusqu’au village d’Emmaüs, puis, par son Esprit, de la Galilée des nations jusqu’aux extrémités de la terre. Toute sa vie, Jésus a incarné chez les hommes le nom que Dieu avait révélé à Moïse : « tendre et miséricordieux, lent à la colère, plein d’amour et de vérité ». Et comme cela ne correspondait toujours pas à ce que les hommes attendent d’un Dieu, c’est-à-dire qu’il soit à la merci de leurs désirs de puissance et de force, le Fils fut rejeté et les siens ne l’ont pas reçu. Alors, au moment d’être livré et d’entrer librement dans sa Passion, il prit du pain, puis du vin, les partagea avec ses disciples et leur dit : « faites ceci en mémoire de moi » ! Ce même soir, il prit un linge, leur lava les pieds et leur dit : « c’est un exemple que je vous ai donné, pour que, comme je vous ai fait, vous aussi vous fassiez » (13, 15). Ce qui voulait dire : tu veux comprendre la Trinité ? Tourne-toi vers tes frères et tu verras : c’est la charité qui t’apprendra la Trinité ! Sois fraternel avec tous et tu comprendras que Dieu est un Père qui aime tous ses enfants. C’est, pour ma part, ce que j’ai mieux compris auprès de notre ami Étienne Renaud.

Lorsqu’il est arrivé à Marseille, le P. Étienne Renaud avait d’abord besoin de se reposer après des années bien remplies, non seulement à Rome, mais aussi au Yémen, au Soudan, en Tunisie et après avoir effectué de nombreux voyages lorsqu’il était supérieur général des pères blancs. Il voulait avoir le temps de vivre une proximité réelle avec les habitants de ce quartier, d’aller à la rencontre des gens avec simplicité, humilité et fidélité. Il proposa ses services comme écrivain public dans les cités les plus pauvres, tissa des liens d’amitié avec les musulmans, prit du temps pour s’insérer dans la pâte humaine où il savait que Dieu était présent.

Avec vous, ce matin, je rends grâces à Dieu pour cet homme si simple et si savant à la fois, à cet ami au jugement aiguisé et à la bonté rayonnante. Un homme qui, pour mieux prendre de la hauteur, avait besoin de vivre à la base, de partager la vie commune, ordinaire, confrontée aux problèmes concrets et profondément enracinée dans un tissu de relations qu’il excellait à entretenir. Un homme qui avait sillonné la planète mais qui habitait surtout l’intérieur de son cœur, élargissant, à chaque nouvelle rencontre, l’espace de sa tente. Un homme qui puisait dans la prière et la contemplation la force et le goût d’écouter battre le cœur du monde à travers celui des gens qu’il rencontrait, quelles que soient leurs religions ou leurs convictions, et spécialement tous ces fidèles de l’islam devenus ses voisins de quartier. Un homme qui laissait déborder en lui la joie de l’Église lorsqu’au gré des rencontres de son apostolat, elle fait l’expérience de la profonde vérité de l’action de grâces qui jaillit un jour du cœur de Jésus : « Je te loue, Père, Seigneur du ciel et de la terre, d’avoir caché cela aux sages et aux savants et de l’avoir révélé aux tout-petits ». L’hospitalité́ qu’il avait reçue de la part d’une famille musulmane pauvre au Yémen, et à laquelle il se référait souvent, lui avait permis de ne jamais désespérer, même quand, plus tard, le dialogue se fit plus difficile. Fort de ce qu’il avait vécu, il misait sur la puissance spirituelle de l’islam et encourageait toujours chrétiens et musulmans à partager leurs expériences spirituelles, à la recherche d’une rencontre en vérité.

« À la recherche d’une rencontre » : c’était le titre donné par Étienne Renaud aux pages dans lesquelles, à la demande de ses supérieurs, il relisait l’itinéraire de sa vocation. C’est le résumé de sa vie, et finalement de toute existence humaine. Car qu’est-ce qu’une vie, sinon le temps qui nous est donné pour nous préparer à rencontrer le Seigneur, en vivant intensément chaque rencontre de la vie ordinaire. « La condition même de la foi, écrivait-il, est d’être toujours en marche, toujours en quête, toujours inquiète. Une foi sans inquiétude est une foi morte ; en ce sens, la foi de l’autre, différente de la mienne est un aiguillon qui me rappelle que Dieu est toujours au-delà. Le dialogue grâce auquel les chrétiens rencontrent les croyants d’autres traditions religieuses permet de marcher ensemble à la recherche de la vérité. […] Massignon disait : “On ne trouve la vérité qu’en pratiquant l’hospitalité”. » Et l’on pourrait ajouter ce matin : on ne trouve la Trinité qu’en pratiquant l’hospitalité !

Tel est le message que nous a laissé Étienne. Telle était son espérance. Avec lui, rendons grâce à Dieu, ce Dieu qui « a tant aimé le monde qu’il a donné son propre Fils, […] non pas pour juger le monde, mais pour que, par lui, le monde soit sauvé ».

Amen !

 

+ Jean-Marc Aveline

Publié le 05 juin 2023 dans

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