Homélie de la messe chrismale

Chers amis,
Depuis hier, avec la belle et poignante liturgie des Rameaux, nous sommes entrés dans la grande semaine, la Semaine Sainte, celle où nous accompagnons notre Seigneur Jésus dans le combat de sa Passion, jusqu’au matin de sa Résurrection, celle où nous accompagnons les pas des nombreux catéchumènes adultes dans les multiples combats de leurs vies, jusqu’à leur baptême dans la nuit de Pâques. Comment ne pas rendre grâce à Dieu pour ces hommes et ces femmes, de plus en plus nombreux, qui découvrent ou redécouvrent le Christ à l’âge adulte et qui, guidés par l’Esprit, frappent à la porte de l’Église pour être plongés dans la foi de ce peuple et devenir des membres actifs de nos communautés ? Comment ne pas rendre grâce pour vous, chers amis, et avec vous ? Beaucoup d’entre vous sont arrivés par des chemins que nous n’avions pas balisés. Mais l’Esprit, qui est allé vous chercher sans nous, ne veut pas vous conduire au Christ sans nous, sans le témoignage, l’accompagnement et le discernement de l’Église. Votre accueil exige de nous une conversion, car à travers vous, le Christ, qui les attire, nous attire nous aussi une nouvelle fois, lui que n’aurons jamais fini de découvrir ni d’aimer !
« Quand j’aurai été élevé de terre, avait dit Jésus, j’attirerai à moi tous les hommes » (Jn 12, 32). Avant même que nous ayons pensé à lui, le Christ nous a désirés, attirés, aimés. Lui qui est « le chemin, la vérité et la vie » (Jn 14, 6), est venu lui-même à notre rencontre. Saint Augustin, qui savait d’expérience combien on peut errer longtemps dans la vaine gloriole du monde, donnait ces conseils avisés à ceux qui cherchent la vérité :
Comme nous n’avons aucun moyen de parvenir à la vérité, le Fils de Dieu qui est éternellement dans le Père, vérité et vie, s’est fait homme pour devenir le chemin. Suis le chemin, [c’est-à-dire] son humanité, et tu parviendras jusqu’à Dieu ! C’est par lui que tu marches, c’est vers lui que tu marches. Ne cherche pas d’autre chemin que lui-même pour arriver jusqu’à lui. S’il n’avait voulu être le chemin, nous serions toujours errants ; mais il s’est fait la voie par où tu pourras l’atteindre. Je ne te dis pas : cherche le chemin ! Le chemin lui-même vient jusqu’à toi : lève-toi et marche ! (Sermon 141, 4).
« Le chemin lui-même est venu jusqu’à toi ! » Et voici comment : Jésus, qui venait de commencer son ministère public, était revenu chez lui à Nazareth, selon le récit que nous avons entendu tout à l’heure. Comme à son habitude, il s’était rendu à la synagogue le jour du sabbat. Il s’était levé et proposé pour faire la lecture. Il s’agissait d’un passage du livre d’Isaïe : « L’Esprit du Seigneur est sur moi, parce que le Seigneur m’a consacré par l’onction. Il m’a envoyé porter la Bonne Nouvelle aux pauvres, annoncer aux captifs leur libération et aux aveugles qu’ils retrouveront la vue, remettre en liberté les opprimés, annoncer une année favorable accordée par le Seigneur ». Après avoir lu ces quelques mots, déjà maintes fois entendus par une assemblée plus ou moins assoupie, Jésus, concentrant sur sa jeune personne les regards incrédules de la vieille assemblée, révèle alors qu’en lui, « aujourd’hui », s’accomplit ce passage de l’Écriture. Voici comment le « chemin » est venu jusqu’à nous, comment il nous a montré les balises, les étapes de ce chemin, jusqu’à annoncer une favorable, une année de grâces, une année d’accueil pour tous, spécialement les pauvres et les petits. Et ce chemin continue de venir jusqu’à nous « aujourd’hui », dans les conditions qui caractérisent notre époque, notre « aujourd’hui ».
En effet, chers amis, cet « aujourd’hui » vaut aussi pour nous ce soir. Comment ne pas évoquer, en cette messe chrismale, les conditions qui sont les nôtres aujourd’hui et dans lesquelles nous devons essayer nous aussi d’accueillir le chemin qui vient jusqu’à nous pour que nous puissions avancer vers le Salut ? Comment, aujourd’hui, ne pas évoquer la situation internationale qui est de plus en plus préoccupante, voire angoissante, de l’Ukraine à Haïti, de la Terre Sainte à l’Arménie, sans compter tous les pays du monde où sévissent la violence, la corruption et la guerre ? Comment pourrions-nous accompagner le Christ dans son combat contre la mort sans rejoindre par notre prière et par notre charité, qui doit toujours être inventive, « les pauvres gens » qui sont toujours les premières victimes de la folie irresponsable de ceux qui sont censés les représenter et les gouverner ? Tenons-nous résolument auprès des plus pauvres, car ce sont toujours eux qui payent le prix le plus fort. Ceux qui déclenchent des guerres sont rarement ceux qui en meurent !
Cet « aujourd’hui » de l’histoire du salut vaut aussi à l’échelle de notre pays. Comment ne pas exprimer notre inquiétude et même nos profondes réserves à l’égard du projet de loi annoncé sur la fin de vie ? Comment se fait-il que notre société semble avoir perdu de vue que toute vie mérite d’être inconditionnellement respectée et accompagnée, du début jusqu’à la fin, avec respect et fraternité, sans tordre le sens de ces mots pour des raisons de propagande électorale ? Pourquoi ne pas valoriser encore davantage les soins palliatifs ? La cause de la vie est une cause primordiale et l’on ne doit jamais en parler à la légère, de haut, ou parfois même avec une certaine violence et sans tenir compte, avec respect, de la complexité de chaque situation humaine, car alors, le discours militant, même s’il procède d’une bonne intention, peut sombrer dans l’inhumanité s’il n’écoute pas assez la vie des personnes, avec leur part de chaos et de misère. A cause de cela, certains messages ne sont pas crédibles ni même audibles.
Mais il faut bien reconnaître que le rouleau compresseur de l’idéologie totalitaire qui domine actuellement l’Occident est puissant et redoutable. Sa force, c’est de réussir à endormir les consciences. Notre force, c’est de ne jamais renoncer à les réveiller, à cause de l’Évangile et dans le respect de la complexité de chaque situation. C’est vrai au début de la vie pour la question de l’avortement, c’est vrai à la fin de l’existence pour celle de la fin de vie, c’est vrai pour celle des jeunes dont la vie est fauchée par les trafiquants de drogue et par les complicités meurtrières des consommateurs, c’est vrai, in fine, pour tout ce qui concerne la course aux armements, ce commerce mortifère qui, en sous-main, gouverne le monde et jette sur les routes migratoires et les routes du désespoir – ce sont souvent les mêmes – des milliers de personnes démunies et apeurées. Ne perdons pas de vue le combat du Christ en cette semaine sainte ! N’oublions pas son attitude, désarmée et libre, face aux pouvoirs politiques et aux pouvoirs religieux de son temps. N’oublions pas que ni l’apparent silence de son Père, ni le décevant abandon de la part de ses disciples, n’eurent raison de sa confiance en Dieu et en nous, et que c’est cette confiance, plus forte que toute déréliction, qui suscita l’espérance du larron et la foi du centurion. Avec lui, avec eux, apprenons, nous aussi, à croire et à résister. Souvent, ces deux mots vont ensemble et nos frères chrétiens d’Orient le savent encore plus que nous.
Deux signes nous sont donnés pour nous aider à prendre notre part de ce combat par lequel se poursuit l’œuvre du salut. Le premier signe, ce sont les huiles, celle des infirmes, en vue de l’onction des malades, et celle des catéchumènes, en vue du baptême, afin qu’elles soient bénies, puis le saint chrême, afin qu’il soit consacré, en vue des confirmations, des ordinations, ou pour servir à la dédicace des églises. À travers elles, c’est toute la vie du peuple de Dieu qui est présentée et confiée au Seigneur, dans toute la complexité de nos existences avec leur part de misère et de chaos. C’est aussi toutes les joies, tous les combats et toutes les espérances du peuple de Dieu qui est à Marseille, qui, fortifié par ces huiles saintes, sera disposé à suivre le Christ, à prendre part à ses souffrances et à communiquer au monde entier la Bonne Nouvelle de sa Résurrection. Et l’autre signe, manifesté par le renouvellement solennel, par les prêtres et les diacres ici présents, des promesses de leur ordination, c’est que le sacerdoce ministériel et plus largement les ministères dans l’Église, sont un don que Dieu fait à son peuple, pour lui manifester sa présence, sa proximité, sa compassion et sa tendresse, afin que toute chair puisse voir le salut de Dieu, selon la prophétie d’Isaïe (Is 40, 5 ; Lc 3, 6).
Chers frères prêtres et diacres, notre ministère, vous le savez bien, est tout entier ordonné au service de la dignité et de la mission du peuple que Dieu nous confie. Nous ne sommes pas meilleurs que les autres, mais il nous fait confiance. Sans cesse, son appel nous encourage à nous convertir. Sans cesse, sa confiance nous rappelle où est le juste chemin, celui du service du sacerdoce commun de tous les baptisés, à cause de l’unique prêtre qu’est Christ. Chers frères prêtres, qu’elle est grande, redoutable et magnifique, la mission que le Seigneur nous confie ! Depuis que le Christ est mort sur la croix, nous disons, nous croyons, que tout homme, toute femme, est un frère, une sœur, pour qui le Christ est mort. Voilà pourquoi, en définitive, toute vie humaine est si importante à nos yeux ! Tout homme, toute femme, même ceux qui nous rejettent, même ceux qui nous méprisent, même ceux qui ne le connaissent pas, tout homme, toute femme, est un frère, une sœur, pour qui le Christ est mort. Pour lui, pour elle, sur la croix six heures durant – saint Marc (Mc, 15, 25-34) nous le précise : de neuf heures du matin à trois heures de l’après-midi – Jésus a souffert seul, abandonné de tous, avec les clous et le dos flagellé sur lequel il ne peut s’appuyer ou qui lui fait mal à chaque fois qu’il essaye de trouver un peu de souffle. Six heures à chercher des yeux cet aveugle qu’il avait guéri à Jéricho et qui n’est pas là, ce lépreux qu’il avait purifié et qui n’est pas là, cette femme dont il avait remis les péchés et qui n’est pas là : souvenons-nous toujours que, si nous aussi avions été à Jérusalem au moment où il a été crucifié, il est fort probable que le Seigneur nous aurait cherché des yeux et ne nous aurait pas trouvés. Cependant, ressuscité d’entre les morts, il continue à nous regarder avec bonté et confiance, comme il l’a fait pour Pierre après sa trahison. Qu’elle est grande Seigneur, ta bonté, par-delà tous nos reniements ! Qu’il est grand, Seigneur, cet amour dont tu aimes le monde que tu nous confies, pour que nous le servions et l’aimions en ton nom, jusqu’au bout.
Église de Marseille, écoute une nouvelle fois le programme de Jésus au seuil de sa mission. C’est aussi le programme qu’il te propose aujourd’hui : porter la Bonne Nouvelle aux pauvres, travailler à la libération de tous ceux que la peur, la maladie, le péché, l’angoisse du lendemain, l’incertitude de l’avenir, retiennent captifs ou rendent malheureux. Le serviteur n’est pas au-dessus de son maître : puisque le Christ a été persécuté, toi aussi, tu seras persécutée. Mais n’aie pas peur et regarde devant. Car la joie d’être avec lui, la joie d’être libérée par sa vérité, la joie d’être plongée, imprégnée, trempée dans l’huile parfumée de sa miséricorde, cette joie-là, personne ne pourra te la ravir. Alors, quoi qu’il arrive, garde confiance en la promesse du Père, comme le Fils l’a fait sur la croix jusqu’au bout, pour nous montrer, nous ouvrir et nous offrir le chemin du salut !
Amen !
+ Jean-Marc Aveline
Messe chrismale
Lundi 25 mars 2024
Notre-Dame de la Major
Publié le 27 mars 2024 dans Homélies de Mgr Jean-Marc Aveline
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