Homélie de la messe chrismale

messe chrismale 2025

« Aujourd’hui s’accomplit ce passage de l’Écriture que vous venez d’entendre. »

C’est ainsi, nous dit saint Luc, que Jésus avait commencé son ministère public, juste après avoir lu quelques versets du livre d’Isaïe dans la synagogue de Nazareth, dans cette ville « où il avait été élevé », cette petite bourgade où lui, le Fils de Dieu que chacun connaissait comme le fils du charpentier, avait appris à être un homme, en faisant « de l’intérieur » l’expérience de la condition humaine en toutes choses, excepté le péché. « Aujourd’hui s’accomplit ce passage de l’Écriture », un passage chargé d’espérance que Jésus reçoit comme le programme que son Père, du haut des cieux, lui donne comme feuille de route : « porter la Bonne Nouvelle aux pauvres, annoncer aux captifs leur libération et aux aveugles, qu’ils retrouveront la vue, remettre en liberté les opprimés, annoncer une année favorable accordée par le Seigneur (Lc 4, 18-19). »

Et nous comprenons alors que, de Nazareth au Golgotha, l’œuvre de la rédemption du monde s’est accomplie tout au long de la vie de cet homme, sa vie cachée comme sa vie publique. Un homme qui est passé en faisant le bien mais que la folie des hommes a rejeté. Peu à peu, Jésus avait compris qu’il lui faudrait aller jusqu’à donner son sang pour que tout soit accompli. Hier, dans toutes les paroisses du diocèse, nous avons lu et médité le récit de sa passion. Peut-être avons-nous été sensibles à la manière dont saint Luc a tenu à souligner comment, même au plus fort du combat, Jésus, jusqu’au bout, a fait œuvre de miséricorde. Qu’on se souvienne seulement de cette prière pour ses bourreaux : « Père, pardonne-leur, ils ne savent pas ce qu’ils font », une parole que Luc recueillera aussi de la bouche d’Étienne, le premier martyr, lors de sa lapidation. Miséricorde ! Et que l’on se souvienne aussi de cet admirable échange entre Pierre et Jésus, un échange que seul saint Luc nous restitue, lorsque Jésus dit à Pierre : « Simon, Simon, Satan vous a réclamés. Mais j’ai prié pour toi, afin que ta foi ne défaille pas. Et toi, quand tu seras revenu, affermis tes frères ! » (Lc 22, 31-32). Pierre, malgré sa vaillance quelque peu prétentieuse, est déjà, en quelque sorte, sûr d’être pardonné, quand il reviendra. Comme pour nous tous, frères et sœurs : la foi n’empêche pas que nous péchions, mais elle se manifeste dans notre désir de nous relever humblement, avec la grâce de Dieu, et de revenir, après avoir pleuré amèrement, pour continuer le chemin, affermir et encourager nos frères !

Bien des martyrs, dès le début de l’Église et jusqu’à aujourd’hui, ont fait l’expérience d’être associés par le don de leur sang à l’œuvre du salut. Non pas parce que la foi chrétienne serait morbide, mais bien plutôt parce qu’elle rend libres les disciples de l’Agneau, libres de tout donner par amour, comme aimait à le chanter la petite Thérèse. Telle est la mission de l’Église : témoigner de la victoire du Ressuscité sur toutes les forces du mal, dans le monde et en nous. Et ce soir, dans notre Cathédrale, trois signes nous sont donnés pour nous aider à prendre notre part de ce combat par lequel se poursuit l’œuvre du salut.

Le premier signe, ce sont ces huiles que nous allons apporter tout à l’heure : celle des infirmes, en vue de l’onction des malades, et celle des catéchumènes, en vue du baptême, afin qu’elles soient bénies, puis le saint chrême, afin qu’il soit consacré, en vue des confirmations, des ordinations, ou pour la dédicace des églises. À travers elles, c’est toute la vie du saint peuple de Dieu qui est à Marseille et dans tout le diocèse, qui est présentée et confiée au Seigneur, toutes ses joies et tous ses combats, afin que, fortifié par ces huiles saintes, il se dispose à suivre le Christ, à prendre part à ses souffrances et à communiquer au monde entier la Bonne Nouvelle de sa Résurrection.

Le deuxième signe, c’est notre assemblée elle-même, une assemblée composée, bariolée, où chacun a sa place, où tous sont invités. Une assemblée d’hommes et de femmes, d’enfants, d’adolescents, d’adultes et d’anciens, appelés non pas à vivre ensemble, dans une simple juxtaposition, mais à vivre en frères, dans une communion qui ne vient pas d’eux-mêmes, car ce n’est pas un club où l’on se choisit entre gens qui se ressemblent. En effet, cette communion est un don de Dieu. Et un don de Dieu, chers amis, ça se respecte (on ne doit pas pécher contre la communion), ça nous dépasse (ce n’est pas nous qui la construisons) et ça nous requiert (elle nous est confiée comme un trésor à faire fructifier). Tel est le deuxième signe : qu’il y ait une Église, dont la vocation, par grâce, est d’être – et de devenir toujours plus – une, sainte, catholique et apostolique.

Quant au troisième signe, il va nous être donné dans un moment, à travers le renouvellement solennel, par les prêtres et les diacres ici présents, des promesses de leur ordination. C’est au nom du peuple de Dieu que je voudrais aussi vous dire merci, chers frères prêtres et diacres.

Merci aux diacres. Votre ministère n’est pas toujours facile à comprendre, car  on est souvent tenté de le comparer à la mission du prêtre, en relevant ce que vous faites « de moins », ou bien à la mission du laïc, en cherchant ce que vous faites « de plus » ! Or, c’est au ministère de l’évêque que vous êtes directement liés, et ce n’est qu’en relation avec le ministère épiscopal de communion que le vôtre prend sens. À la fois comme un salutaire grain de sable qui rappelle, à temps et à contretemps, que la communion est encore imparfaite tant que les pauvres ou les plus éloignés n’ont pas été rejoints, mais aussi comme un savoureux grain de sel qui encourage l’assemblée à reconnaître la présence et l’action vivifiantes de l’Esprit dans le monde. C’est la raison pour laquelle, à bien y réfléchir, votre ministère est central pour la mission de l’Église.

Paradoxalement, ce qui fait que votre ministère est central, c’est qu’il décentre l’Église d’elle-même. Alors que, par vocation, vous devez vous rendre proches de ceux qui sont le plus loin des réseaux ecclésiaux, dans la liturgie diocésaine, vous êtes placés au plus près de l’évêque, juste à côté de sa cathèdre, non pas pour démontrer votre savoir-faire liturgique, mais plutôt pour signifier la prédilection du Seigneur pour ses enfants les plus fragiles, ceux que la société éloigne et que la miséricorde de Dieu va chercher en premier. Vous êtes comme ceux qui portent le paralytique et qui, bravant tous les interdits, viennent le placer aux premières loges, tout près de Jésus (cf. Mc 2, 1-12). C’est là toute la dignité, et parfois tout l’inconfort, de votre ministère, qui enrichit grandement la vie diocésaine et stimule sur le chemin de la sainteté non seulement tous les baptisés, mais aussi les autres ministres ordonnés, prêtres ou évêques, leur rappelant que la dimension diaconale reste à jamais au fondement de leurs vocations.

Et puis merci à vous, chers frères prêtres. En parcourant le diocèse de long en large, au gré des visites pastorales, en discutant avec vous à de multiples occasions, en vous écoutant parler du peuple qui vous est confié, je mesure combien vous essayez de votre mieux de l’aimer et de le servir, de l’encourager et de le guider. Et dans ma prière, je rends grâce à Dieu d’avoir donné au peuple de notre diocèse des prêtres qui essaient de témoigner, tant bien que mal, de la proximité indéfectible de Dieu envers tous. En nous, chers frères, nous le savons d’expérience, la grâce et le péché se livrent sans cesse un épuisant combat. Permettez-moi de vous relire les mots que le cardinal Lustiger prononça lors des obsèques du cardinal Coffy, au moment de l’absoute, il y a presque trente ans, le 18 juillet 1995. Je les ai relus récemment, et vous savez tout ce qui me lie profondément à Mgr Coffy, lui qui m’avait fait transmettre sa crosse, près de vingt ans avant que je devienne évêque. « Voici l’heure, Robert – disait le cardinal Lustiger – de te dire ici-bas pour la dernière fois adieu. […] Jésus le Christ a touché ton cœur et tu as pleuré devant tes péchés comme devant la grâce qui t’a été faite. […] Le Christ a touché ton cœur et tu as su guérir, partager l’amour, rendre l’espérance et d’abord la miséricorde et le pardon. » Ces mots simples nous rejoignent tous, chers frères prêtres, dans ce qui fait l’essentiel de notre ministère. De nous tous, on devra pouvoir dire : le vase était d’argile mais portait un trésor ! L’essentiel est de garder le regard fixé sur le Christ et d’être disponible pour accomplir la part qu’il veut nous confier dans son œuvre, l’œuvre du salut du monde. Non pas d’abord nos projets, souvent teintés d’orgueil, mais l’œuvre de Dieu, Son œuvre de salut, dont, comme nous en faisons souvent l’expérience, les chemins ne sont pas nos chemins ! Au terme de notre vie, on ne nous demandera probablement pas de faire le compte de nos réussites pastorales, si remarquables soient-elles, mais on nous demandera plutôt si nous avons été suffisamment souples et dociles pour devenir nous-mêmes une œuvre de Dieu, en déployant humblement notre vocation la plus profonde, celle qui s’enracine dans notre humanité et dans notre baptême, avant même notre ordination.

La prière humble du peuple de Dieu est l’humus caché de tous les actes de notre ministère presbytéral. Nous ne devons jamais l’oublier. Nous serons surpris au ciel, disait sainte Thérèse de Lisieux, quand nous découvrirons tous ceux et celles à la prière desquels nous devons notre vocation. Et la prière humble des prêtres d’un diocèse est l’humus caché de la progression vers la sainteté de tous les baptisés. Nous ne devons jamais oublier, non plus, cette haute responsabilité, qui fait, tour à tour, notre joie et notre tourment.

Frères et sœurs, plus que jamais, être chrétien, c’est apprendre à résister et à espérer, à cause de l’Évangile. L’auteur de l’Épître aux Hébreux nous y exhortait ce matin, dans l’Office des Lectures : « Sans fléchir, continuons à affirmer notre espérance, car il est fidèle, celui qui a promis. Veillons les uns sur les autres, pour nous exciter à la charité et aux œuvres bonnes. […] C’est d’endurance, en effet, que vous avez besoin, pour accomplir la volonté de Dieu et obtenir la réalisation de la promesse » (Hb 10).

« Tous, dans la synagogue, avaient les yeux fixés sur lui. » Nous aussi, ne nous lassons pas de contempler son visage. Même sous les traits défigurés du Crucifié, il est pour nous l’image du Dieu invisible.

Amen !

 

+ Jean-Marc Aveline

 

 

Messe chrismale

Cathédrale Sainte-Marie-Majeure

Lundi 14 avril 2025

Publié le 17 avril 2025 dans ,

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