« Jésus nous veut tout entiers, tout à Lui »
Le dimanche 7 septembre, le cardinal Aveline, archevêque de Marseille, a présidé la messe de rentrée diocésaine. Voici son homélie en intégralité (vidéo et texte).
C’était il y a trois semaines, le dimanche 17 août. Avec une petite délégation de la présidence de la Conférence des évêques de France, nous étions arrivés la veille à Tel Aviv et, ce dimanche matin, nous nous étions rendus à Taybeh, village palestinien de Cisjordanie où la majorité de la population est chrétienne et qui se trouve aux prises, depuis de longs mois, avec les exactions commises par certains colons israéliens extrémistes, en toute impunité. Là-bas, nous avons rencontré les trois prêtres, le latin, le melkite et l’orthodoxe, le maire et toute la communauté locale, oppressée par l’insécurité et l’injustice. À la suite des deux patriarches, latin et orthodoxe, de Jérusalem, déjà venus sur place avant nous, nous tenions à leur manifester notre soutien et notre prière, pour qu’ils sachent qu’ils ne sont pas abandonnés. Et voici qu’au moment du repas, on nous annonce la venue du patriarche latin émérite de Jérusalem, Mgr Michel Sabbah, très âgé maintenant, mais qui n’a perdu ni sa lucidité, ni sa sagesse. Et quand je lui ai demandé de nous aider à comprendre la situation présente, il m’a répondu : « Sur cette Terre aujourd’hui, nous continuons à vivre dans notre chair le mystère de la Passion du Seigneur », nous invitant ainsi à scruter non seulement les événements de l’histoire humaine, mais aussi les profondeurs de leur signification dans l’histoire du salut.
Quand toutes les raisons d’espérer disparaissent – et beaucoup de communautés de Terre Sainte nous l’ont partagé – seule reste, dans le cœur de ceux qui croient en Christ l’espérance de la Résurrection et le désir d’accompagner, par leur fidélité jusqu’au bout au peuple dont ils partagent l’extrême précarité de leurs conditions d’existence, le long chemin de croix du Christ qui s’est fait pauvre jusqu’à la mort pour nous ouvrir les portes de la vie. C’est ce que m’a dit, en substance, le P. Romanelli, curé de Gaza, lorsque j’ai pu l’avoir au téléphone. Cette espérance, les chrétiens ne la reçoivent pas que pour eux : par leurs prières, ils portent aussi les espoirs des deux peuples de cette Terre, partageant la douleur des uns et la douleur des autres. D’un côté, l’angoisse d’une société israélienne qui voit s’éloigner, à cause des excès de son propre gouvernement, l’horizon de la paix et de la tranquillité – comme nous l’ont expliqué les responsables du Forum des familles d’otages israéliens, lors d’une rencontre poignante à Tel Aviv ; et de l’autre côté, le découragement d’un peuple palestinien humilié et affamé par les décisions du gouvernement israélien et, de surcroît, instrumentalisé et méprisé par une partie de ceux-là mêmes qui prétendent le représenter !
Oui, le chemin de croix de Jésus, n’est pas terminé et le vieux patriarche avait raison : « Nous continuons de vivre dans notre chair le mystère de la Passion du Seigneur » ! Vous comprenez, chers frères et sœurs, qu’en méditant l’Évangile de ce jour, je ne pouvais m’empêcher de penser à tout cela, ainsi qu’aux autres lignes de fracture qui ensanglantent notre monde d’Haïti au Soudan, de l’Ukraine au Congo, et dans tant d’autres parties du monde. Et ce n’est pas qu’une question de géographie, dont on pourrait être exempté sous prétexte que, par chance, on habite ailleurs ! Il ne s’agit pas seulement des événements de l’histoire humaine, mais des réalités et de exigences de l’histoire du salut. Et cela nous concerne tous, frères et sœurs, dans notre façon de suivre le Christ Jésus. Or, que nous dit-il ?
« Si quelqu’un vient à moi sans me préférer à son père, sa mère, sa femme, ses enfants, ses frères et sœurs, et même à sa propre vie, il ne peut pas être mon disciple. Celui qui ne porte pas sa croix pour marcher à ma suite ne peut pas être mon disciple. […] Celui qui ne renonce pas à tout ce qui lui appartient ne peut pas être mon disciple ». Ces paroles, frères et sœurs, sont rudes et exigeantes. Jésus ne les a pas adressées au petit cercle des apôtres, déjà un peu habitués à certains propos déconcertants de leur Maître, mais bien aux foules, à toutes sortes de gens qui « faisaient route avec lui », assurément séduits par ses discours et ses miracles, mais sans avoir peut-être vraiment réfléchi à la teneur de son message. Alors Jésus les invite à prendre conscience de la gravité de la situation, comme quand on a le projet de bâtir une tour ou de partir en guerre contre un adversaire et qu’il est urgent d’évaluer nos chances de réussir. Pour le suivre aussi, insinue-t-il, il faut bien réfléchir à ce que l’on doit faire pour pouvoir « aller jusqu’au bout ». Et curieusement, ce que Jésus préconise, ce n’est pas de rassembler des moyens, de faire des provisions, de chercher des assurances, comme nous le faisons quand on monte raisonnablement un projet, mais bien plutôt de renoncer à tout ce que l’on possède, même les relations familiales les plus proches, afin de pouvoir, libres de toute attache, s’engager avec lui jusqu’à la fin, comme on le désire quand il s’agit d’une relation d’amour. Les premiers disciples l’avaient bien compris, eux qui, après avoir, sur sa parole, jeté leurs filets après une nuit de pêche infructueuse, avaient, d’un seul coup, tout laissé pour le suivre.
Tout cela nous invite, frères et sœurs, à nous poser sérieusement la question de notre attachement au Christ. Vient-il en premier dans nos vies, ou après tout le reste ?
En ce début d’année pastorale, tout cela nous invite, frères et sœurs, à nous poser sérieusement la question de notre attachement au Christ. Vient-il en premier dans nos vies, ou après tout le reste ? Notre lien avec Lui, ce lien d’amitié que Lui-même a souhaité créer avec chacun de nous, nous qu’il n’appelle plus serviteurs, mais amis, ce lien est-il pour nous le cœur de notre vie, la boussole de nos choix, la vive flamme qui éclaire d’amour chaque instant, chaque relation, chaque engagement, ou bien n’est-il qu’un lien qui s’ajoute à d’autres, un lien dont on ne se souvient que lorsque l’on se trouve dans le besoin ? Au fond, avons-nous vraiment décidé de le suivre, c’est-à-dire, de devenir ses disciples, ou bien n’avons-nous finalement qu’un christianisme de façade, un christianisme qui défend des valeurs mais qui oublie la croix ? « Celui qui ne porte pas sa croix pour marcher à ma suite ne peut pas être mon disciple ». Avouons que ce n’est pas facile. Un jour de grand découragement, sainte Thérèse d’Avila avait osé dire à Jésus : « Si c’est ainsi que vous traitez vos amis, ne vous étonnez pas d’en avoir si peu » !
Ce matin, le Saint-Père a canonisé deux figures rayonnantes de simplicité, de joie et d’espérance. Deux jeunes italiens, qui avaient choisi de s’attacher au Christ et de le suivre joyeusement jusqu’au bout. Pier Giorgio Frassati, né à Turin en 1901, où il mourut en 1925, victime d’une poliomyélite fulgurante à seulement 25 ans, et Carlo Acutis, né à Londres en 1991 et mort à Monza, dans le diocèse de Milan, en 2006, emporté par une leucémie foudroyante à l’âge de 15 ans. L’un et l’autre, ont eu des vies très différentes, le premier, alpiniste chevronné, impliqué dans les mouvements sociaux et politiques cherchant à défendre le droit des ouvriers et des pauvres, et le second, premier apôtre sur internet, joyeux, profond et audacieux. L’un et l’autre avaient compris que l’amitié avec le Christ, reçue dans l’eucharistie et déployée dans la joie à travers toutes les harmoniques de la vie, spécialement dans le service des pauvres, suffirait à leur bonheur et leur donnerait la force de traverser toutes les épreuves. La croix, loin d’être une épreuve qui vous tombe dessus à l’improviste et qui gâche votre plaisir, était tout au contraire une manière de vivre unis au Christ, un choix de liberté et de confiance, une façon d’accueillir concrètement, dans le plus grand dépouillement, la joie parfaite de l’Évangile.
Frères et sœurs, en ce début d’année pastorale, n’oublions pas que l’avertissement de Jésus est aussi pour nous, pour vous et pour moi ! Parfois, l’habitude d’être chrétien peut nous faire oublier la radicalité des choix de vie que cela implique. Il arrive – et c’est heureux – que des catéchumènes nous le rappellent avec raison ! Jésus ne se contente pas d’une demi-mesure : il nous veut tout entiers, tout à Lui. « Totus tuus ego sum, et omnia mea tua sunt », écrivait saint Louis-Marie Grignion de Montfort, repris par saint Jean-Paul II qui en fit sa devise épiscopale : « Je suis tout à vous, et tout ce que j’ai vous appartient, ô mon aimable Jésus, par Marie, votre sainte Mère ». Je crois, frères et sœurs, qu’il n’y a pas d’autre chemin, pour les disciples du Christ que nous essayons d’être, que cette attitude de confiance et d’abandon. Jésus l’avait dit en parlant de la difficulté pour les riches d’accéder au Royaume : « pour les hommes, cela est impossible, mais pas pour Dieu » (Mt 19, 26) ! Cette année, si vous le voulez bien, asseyons-nous pour « calculer la dépense », c’est-à-dire pour bien voir ce que le fait d’être chrétiens devrait concrètement changer dans nos vies : comment devons-nous relier, comme le fit si bien Pier Giorgio Frassati, vie spirituelle et engagement social, passion du sport et service des pauvres ? L’eucharistie est-elle pour nous, comme pour Carlo Acutis, cette « autoroute vers le ciel », qui l’emplissait de joie et l’envoyait vers les pauvres ? Calculons la dépense, mais n’hésitons pas ! Avançons à sa suite, même si c’est à notre rythme. L’espérance que nous donne son appel ne déçoit pas ! « Être toujours uni à Jésus, voilà mon programme de vie », disait Carlo. Et quand Jésus, aux heures de notre doute, nous demandera : « Voulez-vous partir, vous aussi ? », nous pourrons répondre comme l’apôtre Pierre : « Seigneur, à qui irions-nous ? Tu as les paroles de la vie éternelle » (Jn 6, 67-68).
Amen !
+ Jean-Marc Aveline
Publié le 08 septembre 2025 dans A la une, Homélies de Mgr Jean-Marc Aveline
Ces articles peuvent vous intéresser
Horaires Assomption 2025
Voici les horaires des messes de l’Assomption dans le diocèse de Marseille…
Ordination sacerdotale de Rémi Bucquet en direct
Le cardinal Jean-Marc Aveline, archevêque de Marseille, ordonnera prêtre Rémi Bucquet. Vous…
Les quarante bougies du « pèlerinage du sourire »
Cette année, Lourdes Cancer Espérance fête son quarantième anniversaire. Dans le diocèse…
en ce moment
à Marseille



