Homélie – Ouverture de la session des jeunes

Rencontres méditerranéennes
Messe à la paroisse des Chartreux
Dimanche 17 septembre 2023
« En ce temps-là, Pierre s’approcha de Jésus pour. Lui demander : “Seigneur, lorsque mon frère commettra des fautes contre moi, combien de fois dois-je lui pardonner ?” » (Mt 18, 21).
C’est souvent qu’en cours de route, ceux qui suivent Jésus profitent d’un moment où l’on marche tranquillement pour lui poser les questions qui les préoccupent, surtout si, dans son enseignement, Jésus a abordé le sujet, mais qu’ils ne sont pas sûrs d’avoir bien compris, ou bien s’ils pressentent que ce qu’il a dit remet sérieusement en question la façon dont ils envisageaient les choses. L’un, par exemple, observant la liberté de Jésus par rapport à la Loi, lui demande : « Quel est le plus grand des commandements ? » (Mt 22, 36). Un autre, se faisant l’écho de beaucoup de ceux qui attendaient le Messie, ose l’interroger directement : « Es-tu celui qui doit venir ou devons-nous en attendre un autre ? » (Mt 11, 3).
Ici, c’est Pierre lui-même qui lui pose une question, une de ces questions qui vient du fond de l’expérience humaine, celle du mal que l’on se fait mutuellement, des dégâts qu’il cause en nous quand on en est la victime, celle des envies de revanche, de la rancune et de la colère, qu’évoquait Ben Sira le Sage dans la première lecture que nous avons entendue tout à l’heure. Mais Pierre, qui vient d’entendre Jésus parler de la correction fraternelle (Mt 18, 15-18), a entrevu l’importance que le pardon avait aux yeux de son Maître, tout en sachant lui-même, d’expérience, qu’il est très difficile de pardonner, surtout quand celui à qui il faudrait pardonner ne cesse de récidiver dans le mal qu’il nous fait.
Mais Pierre est devenu prudent ! Deux chapitres auparavant, il s’était fait rabrouer par Jésus quand il s’était indigné devant la perspective que son Maître soit mis à mort : « Dieu t’en préserve, Seigneur ! s’était-il exclamé. Non, cela ne t’arrivera pas ! » (Mt 16, 22). Et Jésus lui avait sèchement répondu : « Passe derrière moi, Satan ! Tu es pour moi une occasion de chute, car tes vues ne sont pas celles de Dieu, mais celles des hommes » (Mt 16, 23). Alors maintenant, devenu plus prudent, Pierre essaie de s’éloigner des vues des hommes et de se rapprocher des vues de Dieu, en dépassant largement les limites de ce dont il se sait capable : « Combien de fois dois-je pardonner à mon frère ? Jusqu’à sept fois ? » Sept fois, c’est déjà énorme ! Nous le savons tous d’expérience. Déjà, pardonner une fois, c’est tout un travail. À la rigueur, on peut pardonner plusieurs fois à des personnes différentes. Mais que celui à qui l’on a déjà pardonné une fois récidive, et vienne encore demander pardon, et qu’on le lui accorde, voilà qui déjà est un exploit ! Mais si celui-là continue son petit jeu et pèche à nouveau contre nous, jusqu’à épuiser notre capacité de bonté et de pardon, voilà qui dépasse les bornes ! C’est pourquoi, en proposant « jusqu’à sept fois », Pierre pense s’être considérablement rapproché des « vues de Dieu » !
Pourtant, la réponse de Jésus dépasse largement tous les efforts de Pierre : « Je ne te dis pas jusqu’à sept fois, mais jusqu’à soixante-dix fois sept fois » (Mt 18, 22). C’est-à-dire un nombre incalculable de fois ! Comme la Maman infatigable qui, avec une infinie patience, ramasse le hochet de son bébé, chaque fois que celui-ci, pour s’amuser, le relance à terre ! Comme le fiancé amoureux qui, sans se soucier du nombre de fois, plus encore que soixante-dix fois sept fois, dit à sa fiancée le mot magique de l’alliance : « je t’aime » ! Comme ces personnes engagées au service de la paix et du développement dans le monde, et qui, sans se lasser, tout au long de leur vie, malgré les embuches, les échecs et les déceptions, redonnent inlassablement leur confiance, même s’il leur en coûte, pour permettre à tous d’avancer ensemble. Comme ils sont beaux et comme ils sont précieux, ces artisans de paix, ces affamés de justice, ces pauvres de cœur qui savent que celui qui veut vraiment aimer Dieu ne doit jamais renoncer à servir ses frères.
Chers amis, et tout spécialement chers jeunes qui êtes arrivés dans notre ville de Marseille, venant de tous les rivages de la Méditerranée, soyez les bienvenus ! Vous portez avec nous le souci de l’avenir des peuples de cette mer qui nous est commune, même si les contextes économiques, politiques, sociaux, dans lesquels nous vivons sont très différents et souvent très complexes. Tout au long de cette semaine, nous aurons l’occasion d’échanger sur cela et de chercher ensemble des chemins d’espérance, pour nous-mêmes et pour nos peuples. Ce soir, la Parole de Dieu, et surtout la petite parabole que Jésus raconte pour bien faire comprendre à Pierre le sens de sa réponse, cette parabole où celui à qui le maître a remis une dette faramineuse se montre lui-même incapable de remettre la minuscule dette que lui doit un de ses compagnons, cette Parole de Dieu nous donne, me semble-t-il, deux indications importantes pour nos travaux.
D’abord, ne jamais renoncer au travail de réconciliation, même s’il faut mille fois recommencer, remettre l’ouvrage sur le métier, parce que sans processus de réconciliation, il n’y a pas d’avenir pour la paix. Même quand nos mémoires sont blessées, nous devons apprendre à tenir non seulement l’exigence de justice et de vérité, mais aussi la possibilité toujours offerte du pardon. Seul celui qui a été offensé peut accorder son pardon. Et le pardon, sans supprimer la mémoire de l’offense, accorde la remise de la dette, afin de pouvoir vivre et espérer ensemble. Ensuite, la deuxième leçon que nous pouvons retenir de la petite parabole racontée par Jésus, c’est qu’il ne faut jamais faire pour les autres ce qu’on ne voudrait pas que Dieu fasse pour nous, c’est-à-dire, désespérer de nous et nous abandonner à notre triste sort, celui de la rancune, de la colère et de l’amertume, qui font le lit de notre malheur parce qu’elles nous privent de la faculté d’espérer. Nous le savons, en effet, l’être humain, créé à l’image et à la ressemblance d’un Dieu qui est amour, est fait pour aimer, et, comme l’écrivait saint Bernard de Clairvaux, « la mesure de l’amour est d’aimer sans mesure ».
Chers frères et sœurs, la Méditerranée qui nous rassemble ce soir est une mer chargée d’histoire, une mer qui, maintes et maintes fois, a vu les hommes et les femmes qui vivent sur ses rivages chercher à apprendre les uns des autres, à échanger les fruits de la terre et de leur travail, à débattre de leurs croyances et de leurs espérances, à s’apprivoiser mutuellement et à goûter la joie d’une convivialité heureuse et fructueuse. Elle les a vus aussi se déchirer, se jalouser, se combattre, sur mer et sur terre, avec une violence qui croissait au fur et à mesure que les blessures successives faisaient saigner leurs mémoires. Pendant cette semaine, chers jeunes, nous commencerons par écouter avec respect et attention le récit de nos histoires, car chaque vie est un message qu’il nous faut accueillir et méditer. Puis nous apprendrons ensemble l’art d’un dialogue confiant et fraternel, en l’élargissant aux confessions religieuses et aux visions du monde qui bordent le bassin méditerranéen. Enfin, pour mieux nous préparer à la rencontre avec les évêques et au travail avec eux et avec le Pape François, nous essaierons de prendre la mesure de notre responsabilité commune pour relever les défis auxquels notre espace méditerranéen est aujourd’hui confronté, qu’ils soient d’ordre socio-économique, géopolitique, environnemental ou encore migratoire, car cette mer, qui fut le berceau de tant de cultures et de religions, est en train de devenir le tombeau de tant de vies humaines que la misère et la guerre chassent de leurs pays.
Comment, au milieu de tant de questions, chercher ensemble des chemins d’espérance ? La réponse de Jésus à Pierre nous indique la voie sur laquelle nous pouvons essayer d’avancer : laisser l’action de Dieu inspirer nos actions humaines, pas seulement une fois, mais jusqu’à « jusqu’à soixante-dix fois sept fois » ! Lui, Dieu, chantait le psalmiste, « n’est pas toujours en procès ; il ne maintient pas sans fin ses reproches ; il n’agit pas envers nous selon nos fautes, ne nous rend pas selon nos offenses » (Ps 102). Lui, Dieu, disait le prophète Jérémie, veut nous donner « un avenir et une espérance » (Jér 29, 11). Lui, Dieu, nous dit Jésus, « a tant aimé le monde qu’il a envoyé son fils unique […] non pas pour juger le monde, mais pour que, par lui, le monde soit sauvé » (Jn 3, 16-17). Que l’Esprit de ce Dieu miséricordieux et plein d’amour nous assiste tout au long de nos échanges.
Amen !
+ Jean-Marc Aveline
Publié le 20 septembre 2023 dans Homélies de Mgr Jean-Marc Aveline
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