Les racines juives de la messe

Dans le cadre des 60 ans de la déclaration Nostra aetate (voir notre dossier), le frère Antoine Odendall, responsable du Service de la liturgie du diocèse, propose de découvrir ou redécouvrir comment les différents moments liturgiques de la messe plongent leurs racines dans la tradition juive.
La liturgie chrétienne s’enracine profondément dans les traditions juives. Le pain et le vin, déjà offerts à Dieu dès les origines (Gn 4,3), prennent un sens particulier avec Melchisédech, roi-prêtre (Gn 14,18), figure du Christ. Ces éléments, centraux dans le repas pascal juif, deviennent les espèces eucharistiques. Les pains azymes (non levés), mangés en mémoire de la sortie d’Égypte à la hâte (Ex 12,15), rappellent la pureté et la nouveauté. L’agneau pascal, dont le sang protégeait les maisons (Ex 12), annonce l’Agneau de Dieu, offert pour la vie du monde (Jn 1,29). La manne, pain du ciel (Ex 16), nourrissait quotidiennement le peuple en marche : douce, blanche, elle préfigure l’Eucharistie, nourriture pour le chemin, révélant la bonté divine. Le Seder pascal, avec ses prières et ses coupes de vin, offre une matrice liturgique : sanctification du vin (Kidoush), lavement des mains, dialogue rituel, bénédictions sur le pain et les herbes amères, repas, coupe après le repas, louanges finales (Ps 113-118). Cette structure, où se mêlent parole et nourriture, annonce la double table de la messe : Parole et Eucharistie. Mais l’élément le plus profond est la théologie du mémorial. Le Zikkaron n’est pas un simple souvenir : il actualise l’événement. Chaque génération revit la libération et dit « aujourd’hui Dieu nous libère » et non pas « Dieu nous a libérés ». Ce principe est pleinement repris par Jésus dans l’Eucharistie.
La Cène : un fondement mais pas un modèle
La dernière Cène se déroule dans un cadre juif, mais n’est pas encore une liturgie chrétienne. Comme le dit Benoît XVI, la prière de Jésus s’inscrit encore dans la liturgie d’Israël. La séparation entre le Christ et la synagogue n’est pas accomplie : l’Église n’existe pas encore. La Cène en pose les fondements, mais ce n’est que progressivement, avec la maturation de la foi pascale et la séparation d’avec le judaïsme, que l’Église développe une liturgie autonome. Ce développement, loin d’être une trahison, est enraciné dans l’événement même de la Résurrection. C’est pourquoi vouloir revenir à la forme de la Cène pour célébrer la messe ne serait ni possible ni souhaitable : la liturgie chrétienne ne se contente pas d’imiter, elle accomplit. Le mémorial chrétien transforme la logique juive : on ne se contente plus seulement de se souvenir des œuvres de Dieu mais on fait aussi mémoire du Christ lui-même. Et plus encore : le signe devient la réalité. Ce pain et ce vin ne rappellent pas seulement le Christ, ils le rendent réellement présent. Ce n’est plus seulement penser à sa Pâque, c’est la vivre, c’est la manger. La communauté ne fait pas mémoire d’un événement : elle est plongée en lui. Le mémorial n’est pas que dans l’esprit, mais dans la matière même du sacrement. Le Corps livré et le Sang versé sont présents dans les espèces eucharistiques, et dans l’assemblée, Corps vivant du Christ.
Herméneutique de la continuité
Le passage de la Pâque juive à l’Eucharistie est un passage de la figure à l’accomplissement. Dans la Pâque juive, l’agneau symbolise la délivrance passée. Dans l’Eucharistie, le Christ est vraiment présent. Ses paroles : « Ceci est mon corps… ceci est mon sang » introduisent une nouveauté radicale dans la sacramentalité : le signe ne fait pas qu’évoquer, il contient. Pourtant, malgré la nouveauté, la structure profonde demeure. Le mémorial chrétien garde la triple dimension du Zikkaron : mémoire du passé, action dans le présent, espérance de l’avenir. Cela se manifeste dans les acclamations : « Nous annonçons ta mort, nous proclamons ta résurrection, nous attendons ta venue. » Ainsi, la messe n’abolit pas le passé : elle l’accomplit. Le Christ n’a pas détruit l’ancienne alliance, il l’a menée à son terme. Il est l’Agneau véritable, le Pain du ciel vivant, le Signe rendu chair vivifiante du Sauveur. Et dans la messe, c’est toute l’histoire d’Israël qui trouve sa plénitude dans le mystère pascal du Christ.
Fr. Antoine Odendall, o.p.
Crédit photo paroisse La Valentine Bastien L.
A retrouver dans le numéro de mai 2025 de la revue Eglise à Marseille.
Publié le 08 mai 2025
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