« Marseille, voici ta mère ! »
En la basilique Saint Victor le dimanche 7 décembre 2025, le cardinal Jean-Marc Aveline a prononcé cette homélie, lors de la messe d’action de grâces célébrée pour fêter la fin de la restauration et de la redorure de la statue de Notre-Dame-de-la-Garde.
Chers amis,
Dieu a fait beaucoup de cadeaux aux Marseillais : la lumière éclatante du soleil, le bleu infini de la mer, l’austère beauté des collines, et plus encore un tempérament théâtral, où la joie de vivre parvient toujours à alléger les lourds fardeaux de l’existence. Mais le plus beau cadeau qu’Il leur ait fait, c’est la Sainte Vierge ! Jésus, sur la croix, avait donné à l’apôtre Jean ce qu’il avait de plus cher en lui disant, se tournant vers Marie : « Voici ta mère ». C’est ce même cadeau, cette même grâce qui est aussi une importante mission, que le Christ a fait à Marseille, depuis que trône au-dessus de notre ville la statue de Notre-Dame de la Garde, majestueuse et touchante à la fois, majestueuse par l’éclat de sa dorure, touchante par la simplicité de son attitude.
« Voici ta Mère » : tous les Marseillais ressentent, plus ou moins confusément, ce sentiment de proximité toute familiale qui les relie à leur Bonne Mère ! Même ceux qui ne partagent pas la foi des chrétiens font l’expérience qu’en gravissant cette colline, en se recueillant sous ces voûtes imprégnées de tant de prières, ils retrouvent en eux-mêmes le chemin de l’intériorité. Nous en avons tous fait au moins une fois l’expérience : plus on monte vers cette basilique en portant les fardeaux de nos vies, plus on se laisse porter par la prière de ces ex-votos qui témoignent de la présence secourable de la Vierge Marie dans les faits divers de la vie quotidienne, et plus on sent s’ouvrir en nous le chemin qui descend vers l’intérieur de nous-mêmes, là où notre vie prend sens sous le regard aimant de la Mère de Dieu. « Je te cherchais dehors – disait à Dieu saint Augustin – et Toi, Tu étais dedans, plus intime à moi-même que moi-même ! » Les Marseillais d’aujourd’hui, même s’ils ne connaissent pas les mots de la prière, trouvent sur la colline, comme par instinct, les gestes qui lui correspondent : le silence d’un instant, la flamme d’un cierge, l’humilité d’un cœur apaisé et surtout la confiance en l’amour indéfectible de Dieu pour chacun de ses enfants.
Qui donc es-tu, Marie, pour que Dieu t’ait confié cette incroyable mission que tu ne cesses, encore aujourd’hui, d’exercer partout sur la terre : ouvrir les cœurs à l’amour dont Dieu aime le monde ? D’après le récit de saint Luc, tu étais toute jeune encore quand l’ange Gabriel vint te trouver dans ta maison à Nazareth et t’annoncer la grande nouvelle qui allait t’associer, de manière unique et définitive, au salut du monde entier. Tu serais la mère du Sauveur ! Tu deviendrais la Theotokos, la mère de Dieu, comme le proclamera en 431 le concile d’Éphèse ! Toi, une toute jeune fille, habitant une minuscule bourgade d’une région placée sous occupation romaine ! Mais tu étais fille d’un peuple dont la foi avait su résister à bien des tempêtes de l’histoire !
Et cette foi qui t’habitait et dont tu étais l’héritière, avait préparé ton cœur aux imprévus de Dieu. Tu savais que le Dieu d’Abraham se souvient de ses promesses et qu’il n’abandonne jamais ceux qui placent en lui leur confiance. Tu savais qu’il aime les cœurs humbles et que sa miséricorde s’étend d’âge en âge. Tu savais qu’il est capable de renverser les puissants de leurs trônes et d’élever les humbles. Tu savais, tu savais… Mais ce jour-là, devant l’ange qui attendait ta réponse, une réponse qui venait bouleverser radicalement les projets de vie que tu avais pu former en ton cœur avec Joseph ton fiancé, il ne s’agissait plus seulement de savoir : il te fallait choisir. Choisir d’accepter d’avoir été choisie entre toutes les femmes pour que l’Esprit Saint, te couvrant de son ombre, fasse de toi la mère du Rédempteur. Alors, dans le secret de ton cœur, tu as formulé ton « oui », répondant à l’ange qui se faisait insistant : « Voici la servante du Seigneur ; que tout se passe pour moi selon ta parole. »
Ainsi, ô Notre-Dame, choisie pour devenir notre Mère, tu sais ce que c’est, toi, qu’une vie qui bascule, du jour au lendemain ! Tu sais ce que c’est de devoir affronter les regards – car tu n’étais pas mariée, et tu étais enceinte – supporter les commérages ou même les calomnies. Tu sais ce que c’est de devoir fuir ton pays pour échapper à la folie meurtrière des puissants de ce monde. Tu sais ce que c’est de ne pas comprendre son enfant quand il fugue et de devoir l’accompagner, tout en le laissant libre, quand il se met à prêcher un message qui vient de Dieu, mais qui ne plaît pas à tout le monde. Tu sais ce que c’est de voir mourir ton fils, non pas d’un accident, mais à l’issue d’un procès truqué, qui le condamne comme s’il était un brigand et un criminel, mêlant l’injustice à la lâcheté. Tu connais la douleur des mères et leur incroyable dignité. Tu as vu de tes yeux la méchanceté du cœur de l’homme, sa facilité à renier ceux à qui il avait pourtant juré son amitié. Et c’est peut-être parce que tu sais toutes ces choses que les Marseillais peuvent se sentir si proches de toi ! Mais tu sais aussi, malgré tout cela, l’immense force de la prière, la résistance invincible de l’espérance et surtout la puissance infinie de l’amour.
En te confiant à l’apôtre Jean, ton Fils a fait de toi la mère de son Église. « Femme, voici ton fils ! » Et à partir de cette heure-là, nous dit l’évangéliste, « le disciple la prit chez lui ». Ô Bonne Mère ! Depuis qu’il y a un peu plus de huit cents ans, un prêtre de Marseille, que l’on appelle Maître Pierre, a demandé aux moines de saint Victor, qui possédaient la colline de la Garde, la permission d’y bâtir une petite chapelle en ton honneur afin de pouvoir s’y retirer pour prier, les Marseillais, comme autrefois saint Jean, t’ont pris chez eux en t’offrant l’hospitalité de leur cœur ! Ils ne sont pas les meilleurs, tu t’en es aperçue ! Mais ils savent comme toi ce que sont les soubresauts de l’histoire et les douleurs de la vie. Ils connaissent comme toi les joies et les espoirs qui traversent la condition humaine et ils ont reconnu en toi une mère pleine de bonté.
Et plus encore depuis que, il y a un peu plus de cent-cinquante ans, l’on fit construire une statue monumentale, avec une technique tellement de pointe qu’aucune autre statue ne fut ensuite réalisée de la même façon, si bien qu’elle est non seulement à jamais la première mais à jamais l’unique, depuis que cette statue arriva de Paris en trois morceaux par le Chemin de Fer, les Marseillais de tous bords t’ont adoptée comme symbole de leur ville, comme signe de leur fierté et comme refuge dans l’adversité. Et toi, du haut de ton clocher où résonne le bourdon aux grandes heures de l’histoire, tu leur présentes ton Fils, que tu tiens avec tendresse et fermeté. Lui, dans un sourire joyeux et un mouvement enthousiaste de ses petites menottes agitées, regarde la foule qui converge et semble vouloir donner à chacun la joie et l’espérance de son Évangile. Et toi, pendant ce temps, tout en le tenant bien, tu laisses aller ton regard au loin, vers la mer, vers les marins en difficulté ou les migrants en détresse, et, par-delà la mer, jusqu’à ces contrées lointaines vers lesquelles tant de missionnaires, te fixant des yeux le plus longtemps possible depuis le bateau qui les emportait, ont trouvé dans ton sourire leur ultime encouragement : eux aussi, comme toi, ils iraient montrer le Christ et annoncer son Évangile à des peuples qui ne le connaissaient pas encore.
Voilà pourquoi Marseille t’aime, ô Vierge de la Garde ! Et nous, frères et sœurs, en nous rassemblant ici, dans cette abbaye de Saint-Victor, avant de monter en procession tout à l’heure sur la colline, nous revenons aux racines de notre Église diocésaine, sur la tombe de nos martyrs, auprès de Notre-Dame de Confession. En ce lieu qui unit l’Orient et l’Occident, nous faisons mémoire de saint Jean Cassien qui, arrivant de l’actuelle Roumanie, fit éclore dans notre ville les graines du monachisme qu’il avait ramenées des déserts d’Égypte, renforçant le rôle de la cité phocéenne comme pont entre l’Orient et l’Occident. C’est encore notre mission aujourd’hui, entre les cinq rives de la Méditerranée. Et nous nous souvenons, de Chandeleur en Chandeleur, de la parole du vieillard Syméon, te disant à toi, Marie, qu’un glaive te transpercerait l’âme, mais que, grâce à toi, ses yeux, tout âgés qu’ils fussent, avaient enfin vu le salut, préparé par Dieu à la face des peuples, afin que s’accomplisse la promesse faite à Abraham.
Ô Vierge de la Garde, en ce jour béni où le peuple de Marseille se rassemble pour te remercier de l’avoir si souvent protégé, en ce jour où il vient recevoir de toi, une nouvelle fois, l’Évangile de ton Fils, plus que jamais, veille sur nous ! Bien des choses nous menacent aujourd’hui : les trafics les plus odieux, les violences les plus inacceptables et les indifférences les plus dangereuses. Garde-nous vigilants ! Réveille nos consciences ! Il est si facile de s’accomoder de l’injustice tant qu’elle ne nous nuit pas directement. Apprends-nous la bonté ! Affermis notre ardeur à témoigner de ton Fils. Et laisse-nous te dire combien nous t’aimons !
Amen !
+ Jean-Marc cardinal Aveline, archevêque de Marseille
Publié le 11 décembre 2025 dans A la une
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