Merci pour cet amour des autres

obseques gaudin

Jeudi 23 mai en la cathédrale de La Major, le cardinal Jean-Marc Aveline, archevêque de Marseille, a présidé la messe des obsèques de Jean-Claude Gaudin, ancien maire de Marseille. Voici l’homélie prononcée à cette occasion.

 

Obsèques de M. Jean-Claude Gaudin

 

Cathédrale de la Major, jeudi 23 mai 2024

 

Les quelques versets que nous venons d’entendre, chers amis, se trouvent dans la deuxième partie de l’Évangile selon saint Jean. Depuis quelques temps, Jésus ne peut plus paraître en public ni s’adresser aux foules, parce que son comportement et ses propos inquiètent les pouvoirs en place, tout autant les politiques, qui les tiennent pour subversifs, que les religieux, qui les jugent blasphématoires. En effet, Jésus n’hésite pas à fréquenter les gens de peu, les pauvres, les mendiants, les malades et les pécheurs, en disant même que c’est en priorité pour eux que Dieu, qu’il ose présenter familièrement comme son Père, l’a envoyé. Et puis il semble prendre ses aises avec la Loi, allant jusqu’à affirmer que le sabbat est fait pour l’homme et non l’homme pour le sabbat, non pas pour relativiser la Loi religieuse, mais au contraire, pour l’accomplir en plénitude, en en exprimant l’essentiel. Et lorsqu’un scribe l’interroge pour savoir quel est, dans la Loi, le plus grand commandement, sans hésiter, Jésus répond, en citant le Deutéronome : « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de tout ton être et de toute ta force » (Dt 6, 5). Et il y ajoute un deuxième : « Tu aimeras ton prochain comme toi-même » (Mc 12, 31 / Lv 19, 18).

Alors, lorsque, au chapitre 15 de l’Évangile de Jean, Jésus essaye de résumer, pour ses disciples les plus proches, puisqu’il ne peut plus parler en public, l’essentiel de son enseignement, il leur recommande surtout ces deux principes : l’amour de Dieu et l’amour du prochain. Jamais le premier sans le second, car ce serait de l’hypocrisie de prétendre aimer Dieu, que l’on ne voit pas, sans aimer son frère que l’on voit (cf. 1 Jn 4, 20). Et si possible, jamais le second sans le premier, car on n’aime vraiment son frère qu’en respectant en tout être humain une profondeur et une dignité qui lui viennent de Dieu. « Comme le Père vous a aimés, dit Jésus, moi aussi je vous ai aimés. […] Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu’on aime. »

Depuis que, par mes fonctions, je fréquente des hommes et des femmes engagés dans la vie politique, je réalise que, si elle est vécue comme un service désintéressé du bien commun et non comme une promotion orgueilleuse de sa propre personne, la politique demande beaucoup de sacrifices, de discipline et de courage. Pour être un vrai politique, il ne suffit pas d’avoir un programme et de savoir jongler avec les chiffres, il faut surtout avoir du cœur et aimer les gens ! Et je pense que les nombreux hommages qui, depuis quelques jours, honorent la mémoire de Jean-Claude Gaudin, mettent en valeur, par-delà les différences d’options politiciennes, le respect envers un homme qui avait consacré sa vie à sa ville, dans un lien quasi viscéral et charnel, comme l’a dit un jour Gérard Larcher, après avoir traversé Marseille dans la voiture de Jean-Claude Gaudin, toute vitres ouvertes pour saluer les gens. Le milieu modeste qui l’avait vu naître et auquel il resta toujours fidèle, comme je l’ai particulièrement ressenti hier soir à Mazargues, ces familles où l’on sait ce que veut dire « gagner sa vie à la sueur de son front », cet environnement simple et courageux lui aura permis de gravir les échelons du pouvoir grâce à son travail et non pas à ses relations. « [Pour être maire, écrivait-il], il faut le vouloir, le vouloir absolument mais pas pour soi. Le vouloir pour une cause qui se confond avec sa propre vie et qui devient une exigence de tous les instants. » Et lorsqu’il eut atteint les sphères des décideurs, il s’employa à favoriser, ne serait-ce que dans l’attribution des investitures, celles et ceux qui, comme lui, ne devaient qu’à leur labeur et à leur enracinement dans un terroir précis, le droit de solliciter la confiance de leurs concitoyens.

Les années ont passé, avec leurs bons et leurs mauvais moments, car « le temps […] fait tourner la roue de la vie, comme l’eau celle des moulins », ainsi que l’écrivait l’auteur du Château de ma mère. Personne n’est parfait, et « l’on ne peut pas tout réussir », confiait ce même Pagnol à son épouse Jacqueline, dans son dernier soupir, comme pour implorer son indulgence ! Et si, comme je l’ai lu quelque part ces jours-ci, l’épouse de Gaudin, ce fut sa ville, c’est aux Marseillais qu’aujourd’hui, comme dans un dernier soupir, il glisse à l’oreille cette demande d’indulgence. Maintenant, c’est devant le bon Dieu qu’il devra humblement présenter le bilan de sa vie, qui est bien plus que son bilan politique. Et cela nous arrivera un jour à tous, et nous savons que là, nous ne pourrons pas tricher, ni nous contenter de quelques pirouettes oratoires ! Nous ne pourrons alors compter, en plus de nos quelques bonnes actions, que sur la bonté et la miséricorde de Dieu et aussi sur les prières de ceux qui ont partagé un peu de notre vie et qui, par-delà les querelles et les inimitiés, peuvent témoigner en notre faveur, comme nous le faisons aujourd’hui pour vous, cher Jean-Claude, dans la ferveur de cette cathédrale. Nous savons que, comme chacun d’entre nous, vous n’étiez pas un saint, mais nous savons aussi que, malgré vos défauts et vos manquements, vous avez aimé les habitants de notre ville, que vous avez voulu les servir, du mieux que vous pouviez et jusqu’au bout de vos forces, et cela, nous ne l’oublierons jamais. C’est la raison pour laquelle nous faisons confiance à ce que le prêtre Elzéar disait à Panisse sur son lit de mort après l’avoir entendu en confession : « Te voilà tout propre, tout net. Je crois, vois-tu, que si tu es appelé devant Lui, le Bon Dieu ne te fera pas mauvaise figure ! »

Et si jamais là-haut ça tournait mal, Jean-Claude, n’oubliez pas d’implorer la Bonne Mère ! « [Depuis mon bureau, à la Mairie, écriviez-vous dans vos Mémoires], en levant les yeux, j’aperçois au loin la basilique Notre-Dame-de-la-Garde et la statue de la Vierge qui la surmonte. La dernière vision de Marseille qu’emportent ceux qui la quittent en bateau. Celle qui m’accompagne au quotidien. Le spectacle toujours saisissant de cette Bonne Mère avec laquelle, comme chaque Marseillais, mais sans doute plus que nombre d’entre eux, j’entretiens un lien affectif étroit. » Comme vous l’avez souvent constaté en venant vous-même y prier discrètement, du haut de sa colline, la Vierge de la Garde accueille les joies et les tristesses de tous ceux qui se confient à elle, toutes cultures et religions confondues. Elle sait que la vie est parfois bien difficile, comme un voyage au long cours. Mais, comme le disait encore votre cher ami Pagnol, « Si vous voulez aller sur la mer sans aucun risque de chavirer, n’achetez pas un bateau, achetez une île ! »

Je conclus en vous citant encore, à la fin du deuxième Prologue de vos Mémoires : « Rien ne me prédestinait à parcourir ce chemin. J’y ai cru au-delà de tout, avec la foi du charbonnier, l’énergie des désespérés et l’innocence des bienheureux. Je l’ai parcouru en surmontant mes doutes, en ignorant mes faiblesses, en dominant mes échecs aussi. Et en méprisant injures et bassesses. En aimant finalement les autres. »

Merci Jean-Claude pour cet amour des autres, que vous aviez appris en lisant et en méditant l’Évangile. Reposez en paix maintenant ! Notre reconnaissance, notre affection et notre prière vous accompagnent.

Amen !

 

+ Jean-Marc Aveline

 


Crédit photo : Robert Poulain

Publié le 24 mai 2024 dans ,

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