Ordination diaconale de Rémi Bucquet

« Si le grain de blé qui tombe en terre ne meurt pas, il reste seul ; mais s’il meurt, il porte beaucoup de fruit » (Jn 12, 24).

Cette parole de Jésus que tu as choisi de nous faire écouter ce soir, cher Rémi, nous saisit par son évidence et par sa radicalité. Son évidence, parce que c’est une loi de la nature que chacun peut constater : seule la semence qui meurt en terre peut faire jaillir de nouvelles pousses et finalement porter du fruit ; sa radicalité, parce que Jésus décrit par là ce que devra être l’expérience de ses disciples, lorsqu’ils donneront leurs vies comme lui va bientôt livrer la sienne quand sonnera l’heure de sa Passion et de sa mort. Et il décrit cela bien clairement : « Qui aime sa vie la perd ; qui s’en détache en ce monde la gardera pour la vie éternelle. Si quelqu’un veut me servir, qu’il me suive ; et là où moi je suis, là aussi sera mon serviteur » (12, 25-26). Celui qui se met au service de Jésus éprouvera donc lui aussi, d’une certaine manière, la détresse de sa passion et la puissance de sa résurrection.

Le livre des Actes des Apôtres raconte comment la jeune Église, se laissant guider par l’Esprit, a fait cette double expérience de la passion et de la résurrection, éprouvant tout autant l’épreuve de la persécution que la fécondité de la mission. Au chapitre 8, dans le passage que tu as choisi de nous faire entendre, nous est racontée par saint Luc la rencontre entre le diacre Philippe et un eunuque égyptien, sur la route qui descend de Jérusalem à Gaza, à une époque où il n’y avait, dans cette région, ni check-points humiliants, ni terrorisme aveuglément sauvage, ni vengeance démesurément criminelle. Philippe était l’un des sept « hommes de bonne réputation, remplis d’Esprit et de sagesse » (Ac 6, 3), ayant donc « les aptitudes requises », comme on l’a dit de toi tout à l’heure, pour s’occuper du service des tables, afin de laisser aux apôtres la possibilité d’assurer, quant à eux, « la prière et le service de la parole » (6, 4). Le premier de la liste était Étienne. Philippe venait en deuxième. L’un et l’autre passeront très vite du service des tables à celui de la Parole. Étienne, par son témoignage vigoureux devant le Grand Prêtre et par les prodiges qu’il accomplissait au nom de Jésus, irrita les autorités juives de Jérusalem : il fut jugé et lapidé, se laissant ainsi configurer au Christ crucifié, jusque dans ses dernières paroles, si profondément inspirées par celles du Christ en croix : « Tandis qu’ils le lapidaient, raconte saint Luc, Étienne prononçait cette invocation : “Seigneur Jésus, reçois mon esprit.” Puis il fléchit les genoux et lança un grand cri : “Seigneur, ne leur compte pas ce péché.” Et sur ces mots, il mourut » (Ac 7, 59-60).  La mort d’Étienne, le premier de tous nos martyrs, déclencha une violente persécution contre l’église de Jérusalem, au point que « tous, sauf les apôtres, se dispersèrent dans les contrées de la Judée et de la Samarie » (Ac 8, 1). Ainsi, dès le commencement, c’est la persécution qui força les disciples à prendre le chemin de la mission : « si le grain de blé tombé en terre ne meurt pas… », avait dit Jésus !

Philippe, quant à lui, partit pour la Samarie, au nord de Jérusalem, et là, il « proclamait le Christ » (Ac 8, 5) : « Les foules unanimes s’attachaient aux paroles de Philippe, car on entendait parler des miracles qu’il faisait et on les voyait », raconte saint Luc. Lorsqu’à Jérusalem, on apprit que la Samarie avait accueilli la Parole de Dieu, les apôtres y envoyèrent Pierre et Jean, afin qu’ils imposent les mains aux Samaritains et que ceux-ci reçoivent l’Esprit Saint. Les diacres, au tout début de l’Église, sont les pionniers de la mission, que les apôtres viennent ensuite confirmer. C’est alors que l’ange du Seigneur ordonna à Philippe de se diriger vers le sud, plus précisément vers Gaza, sur la route de l’Égypte, cette route dont il prend soin de l’avertir qu’elle sera déserte. Philippe ne peut donc pas manquer le seul char qui y circule, celui d’un eunuque rentrant chez lui en Éthiopie, après avoir adoré à Jérusalem.

Roulant à lente allure sur la voie du retour, le pèlerin s’absorbait dans une pieuse lecture ! « Que celui qui voyage et n’a pas de compagnon lise la Loi », conseillaient les rabbins. Et l’eunuque suit ce conseil. Mais il ne comprend pas ce qu’il lit. Comme tant d’autres aujourd’hui qui, sur les routes de la vie, attendent une rencontre qui les aidera à comprendre l’appel du Seigneur pour eux. Comme Cléophas et son compagnon, au soir de Pâques, sur la route descendant de Jérusalem à Emmaüs, marchaient sans comprendre les événements qui venaient de se produire dans la Ville Sainte. Et comme le prêtre et le lévite de la parabole, sur une troisième route descendant de Jérusalem à Jéricho, n’avaient pas compris, eux non plus, à quel point l’amour de Dieu et l’amour du prochain ne peuvent jamais être dissociés. Tous parcouraient l’Écriture, mais aucun n’en avait la clé. Car la clé des Écritures se trouve dans le mystère pascal du Christ, crucifié et ressuscité. C’est, du moins, la foi des chrétiens. Alors s’éclaire le passage d’Isaïe que lisait l’eunuque sur son char : « Comme une brebis il fut conduit à l’abattoir ; comme un agneau muet devant le tondeur, il n’ouvre pas la bouche » (Is 53, 7). Mais l’agneau sacrifié est devenu pain de vie, et le silence du calvaire a fécondé la parole missionnaire de l’Église. « Si le grain de blé qui tombe en terre ne meurt pas, il reste seul ; mais s’il meurt, il porte beaucoup de fruit » (Jn 12, 24).

Cher Rémi, toi aussi, tu as cherché à comprendre ce que tu lisais, à déchiffrer l’appel qui avait été inscrit dans ton cœur depuis ton plus jeune âge dans ta première Église, celle de ta famille. Toi aussi, l’ange du Seigneur t’a envoyé vers le sud, depuis ta Seine Saint-Denis natale jusqu’à la cité phocéenne, juste en face d’Alger où est née ta Maman. La route n’était pas déserte ! Mais ton cœur était disponible et à l’écoute du moindre signe de l’Esprit. Que voulait-il de toi ? Qui pourrait t’aider à le comprendre ? Comme tu cherchais de tout ton être une réponse à cette question, l’Esprit t’a indiqué plusieurs chars, t’invitant à monter à bord pour annoncer le Christ, afin de pouvoir être toi-même évangélisé par ceux auxquels tu t’adressais et recevoir d’eux la force de répondre à l’appel du Seigneur. D’instinct, et peut-être aussi parce que ton père, qui veille sur toi depuis le ciel, s’était laissé toucher par le sens profond du ministère diaconal, tu as saisi que ce sont les plus pauvres qui pourraient te donner la clé dont ton cœur avait besoin pour s’ouvrir en vérité à l’Évangile. Alors, dans le cadre de la Maison Bernadette au pied de la cité des Lauriers, où s’est développée de manière très forte et très concrète ton amitié avec le Christ, puis en rejoignant la colocation Lazare du Caillou Blanc près de la porte d’Aix, travaillant dans une start-up tout en habitant avec des personnes de la rue, tu as appris à donner et à recevoir, à te donner et à te recevoir, à témoigner du Christ et à le découvrir davantage, lui qui s’est fait pauvre afin de nous enrichir par sa pauvreté (cf. II Co 8, 9). « Si quelqu’un veut me servir, qu’il me suive, avait dit Jésus ; et là où moi je suis, là aussi sera mon serviteur » (Jn 12, 26).

C’est ainsi que, peu à peu, le désir de devenir prêtre dans le diocèse de Marseille s’est consolidé en toi. Le chemin, qui n’est pas terminé, ne fut pas toujours facile, loin de là. Je sais combien les doutes t’assaillirent et te déstabilisèrent sous ton apparente égalité d’humeur. Mais je sais aussi, par-delà tes angoisses et tes frayeurs, bien légitimes au demeurant, ta grande confiance en Dieu, surtout en sa miséricorde. « Ne désespérons jamais de la miséricorde de Dieu », disait le saint Curé d’Ars. Elle seule peut, patiemment, moudre en nous le blé que nous offrons pour qu’il devienne le pain du Christ, dans la grande eucharistie de nos vies, comme l’expliquait saint Ignace d’Antioche aux chrétiens de Rome (cf. Épître aux Romains, IV, 1). « Qui aime sa vie la perd, avait dit Jésus ; qui s’en détache en ce monde la gardera pour la vie éternelle » (Jn 12, 25). Mais il ne nous est jamais facile d’accepter de ne pas rester maîtres de la fécondité de nos vies et de n’être qu’un instrument entre les mains du Seigneur !

Chers amis, l’ordination de Rémi au diaconat en vue du presbytérat est pour nous tous une joie et un appel. Une joie, car à travers lui, comme à travers tous ceux et celles qui, de multiples façons, engagent leur vie au service de l’Évangile, à travers les très nombreux jeunes adultes qui, cette année, ont reçu les sacrements de l’initiation chrétienne, nous pouvons témoigner que le Seigneur prend soin de son peuple, qu’il est avec nous dans la barque, même quand il y a de la tempête ! Et nous ne cessons de rendre grâce à Dieu pour tant de bienfaits. Oui, « ce jour que fit le Seigneur est un jour de joie », comme le chante le psalmiste (Ps 117, 24). Que cette joie et cette espérance restent toujours notre boussole, surtout dans les temps troublés et angoissants que nous connaissons aujourd’hui, non seulement dans le monde mais aussi dans notre pays. Quoi qu’il arrive, la mission de l’Église restera la même : se tenir auprès du Christ, c’est-à-dire auprès des plus pauvres, vivre l’Évangile des Béatitudes, aimer le monde comme Dieu l’aime et partager l’espérance qui ne déçoit pas, celle que nous donnent pour toujours la mort et la résurrection de notre Seigneur Jésus Christ.

Chers jeunes, levez-vous donc, vous aussi, pour répondre avec joie et avec courage à l’appel de Dieu. L’Église a plus que jamais besoin de prêtres, pas seulement de prêtres, mais aussi de prêtres, et surtout de saints prêtres, entièrement donnés à la sanctification du peuple de Dieu ! « Le trésor de l’Église, c’est Dieu et les pauvres », comme le dit souvent le pape François. Cette conviction a aidé Rémi dans son cheminement. Se rendre proche de tous, relever ceux qui sont tombés, s’abaisser humblement pour laver les pieds de ceux qui se sont salis, offrir au Père le blé de l’humanité pour que l’Esprit en pétrisse le pain du Royaume, ce pain de vie qui est le Corps du Christ, voilà la belle et unique mission du prêtre. Levez-vous, chers jeunes, cette mission vous attend ! Je peux vous assurer, avec tous les prêtres qui sont ici ce soir, que ce ne sont pas nos insuffisances qui font obstacle à cet appel, mais plutôt nos suffisances, lorsqu’elles nous empêchent d’être libres, de dire « oui », humblement mais résolument, et finalement nous rendent tristes !

Et toi, Rémi, apprends à cheminer vers la prêtrise en vivant pleinement le ministère diaconal, ce beau ministère de la charité. Ce n’est pas une simple étape en attendant de devenir prêtre : c’est bien plutôt la base de ta consécration au Christ Serviteur qui fera de toi, s’il plaît à Dieu, un pasteur selon son cœur. Permets-moi, pour finir, de reprendre avec toi la prière du saint Curé d’Ars : « Je vous aime, ô mon Dieu, et mon seul désir est de vous aimer jusqu’au dernier soupir de ma vie. Je vous aime, ô Dieu infiniment aimable, et j’aime mieux mourir en vous aimant, que de vivre un seul instant sans vous aimer. Je vous aime, Seigneur, et la seule grâce que je vous demande, c’est de vous aimer éternellement ».

Amen !

+ Jean-Marc Aveline

Cathédrale de la Major, dimanche 30 juin 2024

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