Henri Jourdan : « Mon moteur, c’est la paix »

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Henri Jourdan est décédé le jeudi 5 janvier 2023. Dominique Paquier-Galliard l’avait rencontré pour faire un portrait dans le numéro de juin 2018 de la revue diocésaine « Église à Marseille ». Nous vous proposons de relire cet article.

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Pour son Jubilé d’or, Mgr Aveline avait résumé le ministère du P. Henri Jourdan en trois mots : communauté, bonté, disponibilité. Rencontre dans son bureau de la paroisse de Gémenos, au pied du massif de la Sainte-Baume, avec un prêtre heureux.

Le Seigneur m’a bien conservé ! », glisse avec malice le P. Henri Jourdan, 87 ans. Il revient de Lourdes. Depuis 2009, il ne manque aucun pèlerinage diocésain : « Ce sont mes vacances ! Il n’y a rien à faire qu’à se laisser conduire, à prier et à discuter avec des jeunes adorables. » Cette année, il a apprécié le trio formé avec les PP. Gustave Rey et Romain Louge : « Gu ne peut plus lire son bréviaire, alors Romain nous a proposé de prier ensemble les offices à haute voix. » Il a certes beaucoup plu lors de la procession, le soir de l’Ascension, mais « dans ma carriole et sous ma bâche, j’étais à l’abri ! »

Toujours souriant Henri Jourdan. Et on ne le croit pas quand il avoue être pessimiste. Alors il rectifie. Pas pessimiste, mais « inquiet », pour sa famille, ses paroissiens, son entourage, le pape, le monde… Il dit aussi qu’il a toujours été heureux dans son ministère : « Je souhaiterais à tout le monde d’avoir la vie que j’ai eue ! »

Un enfant de Saint-Pierre-lès-Aubagne

Sa vie a commencé tout près d’ici : « Chez nous, on était paysans depuis des générations. J’ai grandi à Saint-Pierre-lès-Aubagne, en pleine nature, dans une famille très unie. Nous étions cinq enfants. J’aurais dû reprendre la ferme. Mon grand-père, que j’aimais beaucoup, s’est mis à pleurer quand j’ai annoncé que j’entrais au Petit Séminaire : “Alors, tu nous quittes ?” Je travaillais souvent avec lui. Il me parlait provençal. Il faisait partie de cette génération que le maître punissait quand il surprenait les élèves à le parler dans la cour de récréation… Depuis que je suis revenu à Gémenos, je fais le sermon en provençal pour la Saint-Éloi, mais ça me demande beaucoup de travail ! » De la guerre, Henri garde quelques images marquantes : « Je revois les tanks alignés sur la route de Saint-Jean. Ils allaient libérer Marseille. Nous avons traversé l’Huveaune pour venir discuter avec les chauffeurs. Ensuite, toute la nuit, nous avons entendu les canons… J’ai appris plus tard que, dans un de ces chars, se trouvait Paul Teuma, futur curé de Saint-Pierre-lès-Aubagne. Il venait de Constantine, avait fait la campagne d’Italie et le débarquement en Provence ! »

Une vocation précoce

Enfant de choeur, il se souvient du P. Tanesse : « En soutane, il nous “chalait” à tour de rôle sur sa moto. Pour les enterrements, il venait nous chercher à l’école qui était juste en face de l’église ! » Tout petit, Henri a le désir de devenir prêtre : « Ma mère était très croyante, mon père plus distant. Un oncle maternel était prêtre. Je me suis toujours dit : “Je ferai comme Tonton !” J’en ai parlé au P. Palmieri, curé de Saint-Pierre. Je voyais le sacerdoce comme on le vivait à l’époque : la messe, les vêpres, c’était très liturgique. Cette vision a bien changé après ! » En 1945, Henri entre au Petit Séminaire, au Mistral, en 6e. « L’ambiance était très austère. Les études me plaisaient et je travaillais bien. Mais j’étais souvent malade. On a expérimenté sur moi des piqûres de pénicilline ! À cause de la maladie, je n’ai pas pu passer le bac. Le supérieur hésitait à me faire redoubler. Je n’y tenais pas. Je voulais seulement être prêtre. Je suis donc entré au Grand Séminaire en 1951. »

Professeur au Petit Séminaire

« Au Séminaire, chacun avait sa responsabilité. Moi, fils de paysan, j’étais jardinier. On sentait déjà un peu d’effervescence, il fallait que ça bouge ! » C’est à cette époque qu’Henri rencontre le P. Loew : « Il venait nous faire des causeries. Au moment de l’interdiction des prêtres-ouvriers, il nous a dit qu’il n’était pas d’accord avec cette décision, qu’il l’avait écrit au pape, mais qu’il obéissait. Bien après, il a été invité à prêcher une retraite au pape et aux cardinaux… ». Henri est ordonné le 23 décembre 1956 à l’église Saint-Pierre avec Jean Oder : « J’ai été le premier prêtre ordonné par Mgr Lallier à Marseille, et il me le répétait chaque fois que je le voyais ! » Deux mois avant son ordination, il est nommé surveillant et professeur au Petit Séminaire : « J’y suis resté quatre ans avec une bonne équipe : Lanteaume, Cuchet, Bouquier, Bonnefont. » C’est là qu’il apprendra l’élection de Jean XXIII : « Quelle déception ! Il ne faisait pas sérieux. Je me souvenais de l’avoir habillé pour une célébration à la cathédrale lorsqu’il était nonce à Paris et que je faisais partie de “la chapelle de Monseigneur”… Quand il a lancé le Concile, on a changé de regard. C’était un coup du Saint-Esprit ! »

Saint-Pierre-Saint-Paul

Avant le concile, le P. Jourdan va changer de lieu d’affectation. « À l’époque, je faisais beaucoup de camps, j’avais passé le diplôme de directeur. C’est en colo, en Lozère, que j’ai appris ma nomination à Saint-Pierre-Saint-Paul par Édouard Bouquier, qui venait de la lire dans le Bulletin religieux ! » Henri connaissait la paroisse car, à la demande du curé, le P. Auroy, il était aumônier de l’école catholique. Il restera à Saint-Pierre-Saint-Paul de 1960 à 2006, d’abord comme vicaire, puis comme curé à partir de 1980 : « J’ai passé toute ma vie de prêtre dans ce quartier. Tous les six ans environ, je rencontrais l’évêque ou le vicaire général, on discutait, personne ne se plaignait, et moi, j’étais heureux ! »
En 1964, il va « donner un coup de main » à l’aumônerie du lycée Michelet, un établissement pour jeunes filles de 1 200 élèves, dont il prendra rapidement la responsabilité. Il passe beaucoup de temps sur son vélomoteur entre la paroisse et le lycée ! « Quand j’ai été nommé, j’étais un peu débordé, j’avais besoin d’aide. C’est alors que le P. Édouard Duluc, qui avait succédé au P. Auroy, a embauché Juliette Marzocchi comme permanente en pastorale. Ce n’était pas courant à l’époque ! » Juliette, qui avait été professeur à l’école paroissiale, et le P. Jourdan se connaissaient déjà. Ils se voyaient aussi l’été au chalet du Parmelan, le centre de vacances de la paroisse en Savoie, que Juliette dirigeait. « Nous avons travaillé en binôme. Ensemble, notamment, nous avons fondé “le groupe du 88” (le 88 bd Longchamp, adresse du presbytère), un groupe de réflexion pour les filles du lycée Michelet et de la paroisse. C’était un régal de faire équipe avec elle ! »

La passion du bricolage

« Nous nous sommes très bien entendus, confirme Juliette. Nous avions les mêmes idées sur l’éducation chrétienne des enfants. Avec son ouverture, sa chaleur humaine et sa bonté, il était toujours disponible pour les écouter et répondre à leurs questions, tout en bricolant… » Car le bricolage, avec la photo, est une des passions du P. Jourdan : « Je n’ai jamais pris de vacances. Ma détente, c’était le bricolage ! Au chalet du Parmelan, qui a tenu une grande place dans ma vie, j’avais un petit atelier. Je faisais des aménagements dans la maison et je fabriquais des jouets en bois pour les enfants, des voitures, des tracteurs, je sculptais des statues de la Vierge. » Pas de vacances, mais des milliers de kilomètres parcourus chaque été pour visiter les camps de Guides et de Jeannettes à travers la France !

Un âge d’or

Ce qu’Henri Jourdan a beaucoup apprécié aussi, c’est le travail en équipe et la vie en communauté. Juliette Marzocchi peut en témoigner : « L’équipe pastorale fonctionnait très bien. Je me souviens du trio P. Duluc, P. Jourdan et P. Jean-François Vincent : trois générations, trois formations, trois tempéraments différents ! Leur vie et leur prière communautaires avaient un retentissement sur la communauté paroissiale. Personnellement, ils enrichissaient ma vie chrétienne et renforçaient mon sentiment de participer à une mission commune. » Pour le P. Jourdan, ces années avec le P. Duluc ont été « un âge d’or. Nous étions très liés. Quand j’ai été nommé curé, il est resté comme vicaire à la paroisse ». C’est ensemble qu’ils ont vécu le concile comme « une libération extraordinaire ! Bien avant Vatican II, j’avais déjà pris quelques libertés, tout en respectant la liturgie, car « le dos au peuple » et le latin passaient mal à l’aumônerie… » Autre entorse : la soutane en deux morceaux, un haut et une jupe, fabriquée par sa sœur, qui lui permettait d’enlever facilement le bas… « Nous avons beaucoup étudié les textes du concile pour nous les approprier. Nous avons travaillé de plus en plus avec les laïcs et créé une équipe d’animation pastorale qui se réunissait tous les samedis. Tous les trois ans, le curé rencontrait les laïcs pour leur proposer d’en faire partie. »

Tiens bon !

Parmi les initiatives proposées en équipe, la création de la halte-garderie paroissiale, ouverte sur le quartier : « Elle a permis d’élargir le cercle, d’entrer en contact avec des personnes d’horizons différents et de susciter des rencontres », soulignent Nicole et Jean-Marie Beaumier, alors membres de l’équipe de préparation au baptême, qui se sont impliqués dans le projet. Autre création : le journal paroissial lancé par le P. Duluc pour maintenir les liens entre les membres de la paroisse et avec tous ceux qui sont contact avec elle. Les éditoriaux du P. Jourdan ont été rassemblés dans un livre qui lui a été offert pour son Jubilé d’or, fêté en 2007, sous le titre « Tiens bon… et avance ! »
Henri Jourdan a tenu bon dans ses différentes missions – vicaire, aumônier de lycée, des Scouts et des Guides, et curé : « Quand j’ai été nommé vicaire épiscopal en 1984, je me suis demandé comment j’allais faire face. Le Seigneur y a pourvu ! »

Retour à Gémenos

Et aujourd’hui encore, il tient bon ! « Depuis septembre 2008, je suis revenu à Gémenos. J’ai une chance extraordinaire, je suis toujours entouré de gens merveilleux. Avec le P. Sagna et le P. Dumoulin, nous prions chaque matin ensemble et nous partageons tout. Les paroissiens nous soignent aux petits oignons ! » Depuis dix ans, il ne s’est jamais senti à la retraite mais apprécie de ne plus avoir de responsabilités : « Je renvoie toujours au curé, je me sens libéré. » Il montre son agenda : « Je prends des rendez-vous, baptêmes, mariages, mais je ne sais pas si je pourrai les honorer ! » Il confie : « Pas un jour ne passe sans que je pense à la mort. Physiquement, après les accidents de scooter, les prothèses, les opérations cardiaques, je suis en kit ! J’aspire au repos. Seigneur, quand tu veux ! » Et il cite saint Paul : « “Pour moi, vivre c’est le Christ, et mourir est un avantage. Mais si, en vivant en ce monde, j’arrive à faire un travail utile, je ne sais plus comment choisir.” C’est ce que disait aussi saint Martin, le patron de notre paroisse… » Quelles convictions voudrait-il partager avec les jeunes prêtres ? La réponse est sans hésitation : « L’importance de la vie en communauté pour prier ensemble et échanger. Nous ne sommes pas faits pour vivre seuls. » Pour lui, le cœur du ministère, « c’est l’amour, une présence accueillante. Je rencontre des gens inquiets – peur de l’avenir, violence, familles désunies – qui ont besoin d’être apaisés. J’essaie de leur dire d’abord de vivre l’amour. Mon moteur à moi, c’est le souci de la paix : “Je vous laisse la paix, je vous donne ma paix.” Le mot Pax est inscrit sur mon calice, avec la croix. » La paix et aussi la joie que ressentent ceux qui le rencontrent. Comme le dit Juliette, « le P. Jourdan fait aimer la vie ! »

Dominique Paquier-Galliard

Publié le 06 janvier 2023

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