Sainte Dévote

« Un serviteur n’est pas plus grand que son maître. Si l’on m’a persécuté, on vous persécutera aussi » (Jn 15,20).
Quand Jésus prononce ces paroles, qui nous sont rapportées au chapitre 15 de l’Evangile selon Saint Jean, il est déjà lui-même, depuis la fin du chapitre 12, un homme traqué. Pendant trente ans, il avait mené la vie ordinaire d’un ouvrier de Nazareth, une vie simple que rien ne distinguait des autres, passant inaperçue à tout autre regard que celui de ses parents, qu’un ange avait mis dans la confidence mais qui ne savaient pas ce qui allait arriver.
Et ce qui est en train d’arriver, c’est que les choses tournent mal. Jésus, après avoir quitté Nazareth vers l’âge de 30 ans, s’est mis à proclamer la Parole de Dieu, à témoigner, lui, le Verbe fait chair, de la proximité de Dieu envers son peuple et de l’amour de Dieu son Père envers toute l’humanité. « Dieu a tant aimé le monde qu’il a donné son propre fils », écrit saint Jean. À cause de cela, Jésus s’est approché des plus pauvres, des malades, des exclus, des pécheurs. « Je ne suis pas venu appeler les justes, mais les pécheurs », disait-il.
Son comportement, qui soulevait l’enthousiasme des foules, son exigence de vérité, dénonçant les incohérences et les complicités inavouées de tous les « bien-pensants » avec le mal et l’injustice, et surtout son invincible liberté à l’égard de la loi religieuse, quand celle-ci fait peser sur les épaules des petites gens des fardeaux que ceux qui la proclament se gardent bien de porter eux-mêmes, tout cela a soulevé contre lui l’hostilité conjuguée du pouvoir civil et du pouvoir religieux. Et l’hostilité est devenue haine. Et la haine a mis à mort celui qui était l’auteur de la vie. Alors Jésus a voulu avertir ses disciples, dans le passage que nous avons entendu : « Si le monde a de la haine contre vous, sachez qu’il en a eu d’abord contre moi […] Si l’on m’a persécuté, on vous persécutera vous aussi. »
Et nous savons que cette prophétie fut vraie, tout au long de l’histoire de l’Église, et encore aujourd’hui dans de nombreux pays dans le monde (je pense au Nigeria, à l’Irak, l’Iran et la liste serait longue). Et vous, ici, à Monaco, vous le savez de manière toute particulière, à travers le don que le Seigneur vous a fait en guidant jusque sur vos rivages la barque où se trouvaient les reliques d’une jeune fille martyrisée en Corse pour avoir fait preuve de liberté et de résistance à l’encontre du pouvoir romain en refusant de renier sa foi en Jésus-Christ. C’était en l’an 304, comme les drones l’ont magnifiquement inscrit hier soir dans le ciel étoilé de la Principauté. Qu’avait-elle de si dangereux pour la sécurité dans l’Empire romain, cette pauvre jeune fille vivant cachée dans une bourgade corse à Mariana ? À vues humaines, rien ! Si ce n’est sa farouche volonté de conserver sa liberté de croire, envers et contre tout. « La vérité vous rendra libres » avait dit Jésus dans ce même Évangile selon Saint Jean.
La liberté de croire, la liberté religieuse si chère au regretté Pape Benoît XVI, la liberté de conscience, que nul n’a le droit de contraindre : depuis qu’elle existe, l’Église du Christ a dû, plus ou moins durement selon les époques et les régions du monde, lutter pour défendre cette liberté, non seulement pour elle-même, mais pour tout être humain, comme elle le fait actuellement, à la suite du Pape François en alertant le monde sur le sort des Ouïghours, des Rohingyas ou des populations autochtones menacées par les pouvoirs dominants comme en Amazonie ou au Canada. Tertullien disait, dès le IIIème siècle, que c’est « le sang des martyrs » qui est « semence de chrétiens ». Je pense au pape Martin 1er, au VIIème siècle, dernier pape martyr, qui fut déporté en Crimée où il mourut sous les mauvais traitements, parce qu’il avait osé s’opposer à l’Empereur qui voulait utiliser la religion au service de ses ambitions politiques.
Église de Monaco, toi à qui la Providence a fait le don d’une sainte jeune fille, vierge et martyre, veille à ne pas perdre le courage de la sainte liberté des enfants de Dieu. N’aie pas peur, à temps et surtout à contre-temps, d’annoncer l’avènement du Royaume de Dieu, même quand cela dérange l’esprit du monde. Église de Monaco, et vous tous, hommes et femmes de bonne volonté qui habitez cette belle Principauté, soyez attentifs au signe que le Seigneur vous a fait en vous envoyant sainte Dévote pour éclairer votre foi, encourager votre espérance et stimuler votre charité. C’est bien de brûler symboliquement la barque de ceux qui avaient voulu vous voler ces précieuses reliques, mais c’est encore mieux de brûler d’ardeur pour que l’Évangile soit vécu ici et maintenant, à travers le service des pauvres, la lutte contre l’injustice sous toutes ses formes, l’annonce de la bonne nouvelle aux jeunes générations, l’accueil des catéchumènes, le soin porté à la création et donc aux problèmes environnementaux spécialement en Méditerranée, l’écoute, non seulement, de la clameur de la terre, mais aussi de la clameur des pauvres, et tout spécialement, sur cette mer qui tend à devenir un grand cimetière, de la clameur des migrants. C’est bien de brûler la barque, mais c’est encore mieux de brûler d’ardeur pour que se développent la liberté de croire et l’art de vivre ensemble pour tous ceux qui vivent où travaillent ici, autour du Rocher où nous nous trouvons ce matin. L’Église n’est pas catholique si elle se referme sur elle-même. La catholicité n’est pas pour elle une étiquette pour se distinguer des protestants et des orthodoxes mais bien plutôt une vocation, celle de coopérer à l’œuvre du Père qui veut tout récapituler en son Fils par l’Esprit, non pas par la contrainte, mais par le respect de la liberté de croire et par l’apprentissage de l’art du vivre ensemble. Telle est la belle leçon, que j’ai moi-même retenue, de notre regretté Monseigneur Bernard Barsi.
« Le serviteur n’est pas plus grand que son maître », disait Jésus. Vers la fin de sa vie, l’abbé Huvelin, qui fut le directeur spirituel de saint Charles de Foucauld, écrivait à ce dernier une petite phrase qui aida beaucoup Charles dans son apostolat silencieux auprès des Touaregs. Il disait : « J’aimerais qu’en me voyant vivre, on puisse dire : “si telle est la bonté du serviteur quelle doit être alors la bonté de son maître ?” » Et Charles de Foucauld en déduisait que ce que Dieu attendait de lui, c’était un apostolat de la bonté, qui le conduirait, s’il le fallait, jusqu’à donner sa vie par amour pour tous les hommes. Plusieurs fois par jour, il disait cette petite phrase, peut-être la plus « catholique » de toutes les prières : « Mon Dieu, faites que tous les humains aillent au ciel ». Et sur la première page de son bréviaire, il avait écrit ces mots, afin de ne jamais éloigner de la Croix du Christ l’espérance catholique du salut : « Pense que tu dois mourir martyr, et désire que ce soit aujourd’hui ». De sainte Dévote à saint Charles de Foucauld, la prophétie de Jésus ne cesse de se réaliser : « si l’on m’a persécuté, on vous persécutera vous aussi. [Mais] si l’on garde ma parole, on gardera aussi la vôtre. »
Que l’Esprit Saint nous donne comme à sainte Dévote, saint Charles de Foucauld et tant d’autres, un cœur libre et bon, simple et vrai, courageux et humble afin que toute notre vie, jusqu’à l’heure de notre mort, soit un témoignage rendu à l’Évangile de notre Seigneur Jésus-Christ, sous le regard aimant de la Très Sainte Vierge Marie.
Amen !
+ Jean-Marc Aveline
Cathédrale de Monaco – Vendredi 27 janvier 2023
Publié le 01 février 2023 dans Homélies de Mgr Jean-Marc Aveline
Ces articles peuvent vous intéresser
Visite pastorale au Cameroun
Cette semaine, le cardinal Jean-Marc Aveline est en visite pastorale au Cameroun….
Homélie – Chandeleur 2023
Chers frères et sœurs, Aujourd’hui, avec toute l’Eglise, nous fêtons la Présentation…
Messe de la Chandeleur
Messe présidée par le cardinal Jean-Marc Aveline, archevêque de Marseille.
en ce moment
à Marseille